Port des Barques

Port des Barques

vendredi 21 juin 2019

Marie-Claire Bancquart pour une dernière célébration de l'instant



         Tu es ce qu'on imagine au monde
          sans savoir si on rêve
          es-tu vraiment ?
          Une mêlée d'exigence et de douceur
          un monde où chaque jour existerait la tendresse
          mais pas sur la même terre
          ici
          parfois
          dégringole une fureur de travail
          ou de sommeil
          ici
          on pense, on travaille dur
          mais sans oublier le petit mufle blanc de la chatte
          ici des livres et des partitions, comme si
          les vieilles gens comme nous conservaient des rêves.
          Oh pourquoi pas
          le plus le plus loin possible.

         in Toute minute est première, suivi de Tout derniers poèmes, Le Castor Astral, 2019, p.189

Ce poème fait partie des vingt inédits, écrits en novembre 2018 par Marie-Claire Bancquart, qui décédera le 19 février 2019.
Nous devons l'anthologie, parue en mai 2019, à l'amitié, celle qui liait Claude Ber, poète elle-même, à l'auteur.
"N'ayant plus les forces de la mener à bien, Marie-Claire Bancquart m'a fait la grande confiance de m'en déléguer la charge" précise Claude Ber, dans sa préface.

          Pourquoi ce sentiment d'exil
          qui revient régulièrement,
          alors que l'amour et l'amitié
          sont si proches de moi.
          C'est sans doute l'enfance manquée, la maladie
          toujours proxime.
          Et cependant l'amour, l'amitié sont ici, tout proches.
          Mais je ressens je ne sais quel besoin de "plus",
          un "plus" en positivité,
          sûrement impossible.

          ibid p.192

          Un très grand pigeon blanc,
          à l'intérieur de notre balcon
          tous les jours à midi trente,
          que vient-il chercher ?
          Pas de pigeonne par ici,
          pas de nourriture non plus.
          Il s'envole après s'être perché
          sur un grand bouquet de fleurs bleues.
          Peut-être rêve-t-il sur une mer
          dont elles ont la couleur,
          et qu'il aurait connue dans sa jeunesse, puis abandonnée
          pour notre civilisation,
          où en solitaire il se nourrit de rêves
          formés de souvenirs.

          ibid p.193

Je garde d'une visite au domicile de Marie-Claire et d'Alain Bancquart le souvenir d'un accueil chaleureux à sa table de travail, puis d'un thé pris avec eux deux sous le regard du chat, entre des bibliothèques lourdes de livres et de partitions de musique, sans oublier la précieuse vue sur les toits de Paris, avec une belle échappée de biais sur la tour Eiffel.

        Souvent je pense à des oreilles très personnelles, comme
        les oreilles blanches de notre chatte, pointées en avant pour
        mieux ressentir une friandise, et sévèrement droites quand
        un bruit, une chute de livre l'appellent. De quel ancêtre    
        a-telle hérité son pouvoir de sentir, de juger ? Comment
        sait-elle que la cuillérée de crème l'attend chaque jour à sept
        heures exactes du matin ?
        Et comme sans doute, elle nous trouve gauches, poursuivant
        un insecte en mordant maladroitement notre pain !

        ibid p.197

        Si doux, le gris du ciel habité parfois de nuages blancs, qu'on
        voudrait être oiseau pour s'y complaire. Bientôt il fera nuit.
        Ce sera l'heure des oiseaux secrets, du livre cherché dans
        la bibliothèque, et pour finir d'un sommeil mi–transparent,
        mi–chien d'aveugle. Nous règnerons grâce à lui sur les fleurs,
        la nuit et le monde, multiples, souverains obscurs et fragiles.

        ibid p.199

Des souvenirs me reviennent en mémoire, tel celui d'une lecture donnée par un soir glacial de février 2013, à la librairie Tschann, boulevard du Montparnasse, illuminée par sa voix et son sourire face à un public d'autant plus attentif que réduit !
Celui de la soirée du 20 juin 2014, donnée à Reid Hall en l'honneur des 80 ans d'Alain Bancquart, son époux, créateur de musique sérielle, à laquelle elle assista, coûte que coûte, allongée comme une déesse antique sur un divan en rotin!
D'un bref et dernier passage, en juillet 2017, au Festival de Poésie de Sète, j'ai également retenu d'elle ces quelques mots, quand interrogée par Gérard Meudal, rue Haute, à propos de son livre Qui vient de loin, elle dit, haut et fort, comme on dicterait son testament poétique :

          "Le quotidien prend une importance extraordinaire au moment où on va être emporté. Toutes ces choses fragiles sont encore là, c'est nous.
La transparence des choses, des bêtes, c'est ce de quoi nous nous réconfortons, nous vivons. Nous ne sommes qu'un sujet au milieu de tant d'autres. La poésie est une sorte de cadeau: chaque matin bouge au bord de la vie incertaine."
Ces mots nous réconcilient définitivement avec l'inconnu du lendemain, ils me sont d'un précieux soutien et je suis heureuse à mon tour de vous les partager, en souvenir d'elle et de sa ténacité.

Bibliographie:
  • Toute minute est première, suivi de Tout derniers poèmes, préface de Claude Ber, Le Castor Astral, 2019
sur internet :

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