Tu es ce qu'on imagine au monde
sans savoir si on rêve
es-tu vraiment ?
Une mêlée d'exigence et de douceur
un monde où chaque jour existerait la tendresse
mais pas sur la même terre
ici
parfois
dégringole une fureur de travail
ou de sommeil
ici
on pense, on travaille dur
mais sans oublier le petit mufle blanc de la chatte
ici des livres et des partitions, comme si
les vieilles gens comme nous conservaient des rêves.
Oh pourquoi pas
le plus le plus loin possible.
in Toute minute est première, suivi de Tout derniers poèmes, Le Castor Astral, 2019, p.189
Ce poème fait partie des vingt inédits, écrits en novembre 2018 par Marie-Claire Bancquart, qui décédera le 19 février 2019.
Nous devons l'anthologie, parue en mai 2019, à l'amitié, celle qui liait Claude Ber, poète elle-même, à l'auteur.
"N'ayant plus les forces de la mener à bien, Marie-Claire Bancquart m'a fait la grande confiance de m'en déléguer la charge" précise Claude Ber, dans sa préface.
Pourquoi ce sentiment d'exil
qui revient régulièrement,
alors que l'amour et l'amitié
sont si proches de moi.
C'est sans doute l'enfance manquée, la maladie
toujours proxime.
Et cependant l'amour, l'amitié sont ici, tout proches.
Mais je ressens je ne sais quel besoin de "plus",
un "plus" en positivité,
sûrement impossible.
ibid p.192
Un très grand pigeon blanc,
à l'intérieur de notre balcon
tous les jours à midi trente,
que vient-il chercher ?
Pas de pigeonne par ici,
pas de nourriture non plus.
Il s'envole après s'être perché
sur un grand bouquet de fleurs bleues.
Peut-être rêve-t-il sur une mer
dont elles ont la couleur,
et qu'il aurait connue dans sa jeunesse, puis abandonnée
pour notre civilisation,
où en solitaire il se nourrit de rêves
formés de souvenirs.
ibid p.193
Je garde d'une visite au domicile de Marie-Claire et d'Alain Bancquart le souvenir d'un accueil chaleureux à sa table de travail, puis d'un thé pris avec eux deux sous le regard du chat, entre des bibliothèques lourdes de livres et de partitions de musique, sans oublier la précieuse vue sur les toits de Paris, avec une belle échappée de biais sur la tour Eiffel.
Souvent je pense à des oreilles très personnelles, comme
les oreilles blanches de notre chatte, pointées en avant pour
mieux ressentir une friandise, et sévèrement droites quand
un bruit, une chute de livre l'appellent. De quel ancêtre
a-telle hérité son pouvoir de sentir, de juger ? Comment
sait-elle que la cuillérée de crème l'attend chaque jour à sept
heures exactes du matin ?
Et comme sans doute, elle nous trouve gauches, poursuivant
un insecte en mordant maladroitement notre pain !
ibid p.197
Si doux, le gris du ciel habité parfois de nuages blancs, qu'on
voudrait être oiseau pour s'y complaire. Bientôt il fera nuit.
Ce sera l'heure des oiseaux secrets, du livre cherché dans
la bibliothèque, et pour finir d'un sommeil mi–transparent,
mi–chien d'aveugle. Nous règnerons grâce à lui sur les fleurs,
la nuit et le monde, multiples, souverains obscurs et fragiles.
ibid p.199
Des souvenirs me reviennent en mémoire, tel celui d'une lecture donnée par un soir glacial de février 2013, à la librairie Tschann, boulevard du Montparnasse, illuminée par sa voix et son sourire face à un public d'autant plus attentif que réduit !
Celui de la soirée du 20 juin 2014, donnée à Reid Hall en l'honneur des 80 ans d'Alain Bancquart, son époux, créateur de musique sérielle, à laquelle elle assista, coûte que coûte, allongée comme une déesse antique sur un divan en rotin!
D'un bref et dernier passage, en juillet 2017, au Festival de Poésie de Sète, j'ai également retenu d'elle ces quelques mots, quand interrogée par Gérard Meudal, rue Haute, à propos de son livre Qui vient de loin, elle dit, haut et fort, comme on dicterait son testament poétique :
"Le quotidien prend une importance extraordinaire au moment où on va être emporté. Toutes ces choses fragiles sont encore là, c'est nous.
La transparence des choses, des bêtes, c'est ce de quoi nous nous réconfortons, nous vivons. Nous ne sommes qu'un sujet au milieu de tant d'autres. La poésie est une sorte de cadeau: chaque matin bouge au bord de la vie incertaine."
Ces mots nous réconcilient définitivement avec l'inconnu du lendemain, ils me sont d'un précieux soutien et je suis heureuse à mon tour de vous les partager, en souvenir d'elle et de sa ténacité.
Bibliographie:
- Toute minute est première, suivi de Tout derniers poèmes, préface de Claude Ber, Le Castor Astral, 2019
- deux liens pour un précédent poème paru sur le Temps bleu et pour un article : http://lintula94.blogspot.com/2015/06/un-poeme-par-jour-marie-claire-bancquart.html
- https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/03/marie-claire-bancquart-vers-une-incertitude-sereine.html
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