Port des Barques

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vendredi 8 février 2019

Pier Paolo Pasolini, à propos de la fin du voyage



         Ah, que la vie est quotidienne !

         La nue pâle et une lune de tôle
         Regardent le garçon blême qui se lave.
         Un camion sur les routes sans poussière
         Ouvre de son murmure la lisière du jour.

         Ô cri rauque, ô blanc soupir du camion évanoui,
         Le temps brille dans la lune de tôle
         Et le garçon, ses mains dans l'eau nue,
         Espère seulement que les lointains…

         En répandant des spectres de violettes et des gouttes de pluie
         Les cloches de six heures du soir sonnent
         Baisant les chevelures bleues des peupliers
         Assassinant les lueurs sanglantes dans leurs yeux.

         J'étais faible et je suis à présent léger…
         Dans mon corps à jeun les cloches me baisent
         Et dans mon cœur, nées dans les cloches,
         Les étoiles tremblent en moi de plaisir.

         La nuit emplit les entonnoirs du silence
         Dans une cage pendue au silence
         Une mouche agite ses ailes noires en tournoyant.
         Les morts ont dans la main une poignée de terre.

         Captif du cœur des morts, le chant de cire
         Au souffle du silence se fait de marbre.
         Toute la vie en un chant du soir résumée…
         Nuit, je ne te connais pas, j'ai perdu ma voix…

         in Adulte? Jamais, Pier Paolo Pasolini, poèmes choisis, présentés et traduits de l'italien par
         René de Ceccatty, éditions Points, bilingue, 2013, p.75
        
(Le titre de ce poème, en français dans le texte, est une citation d'un vers de Jules Laforgue).

La quatrième de couverture de cette anthologie précise que  l'auteur, né à Bologne en 1922, a choisi la poésie comme voix première, avant de s'illustrer dans le cinéma, le roman, le théâtre, et les essais critiques et théoriques.

         Quinze ans ! Vingt ans !
         Beau comme la lumière de Malafiesta,
         Le cœur comme la plage
         Pauvre, assoiffée, nuées, mouettes au cœur.

         Ma chemise de pierre!
         Ma mère de pierre! Le monde
         De pierre! MOI TOUJOURS SEUL.
         Je jouissais, je riais, je dansais…

         Je jouissais, je riais, je dansais…
         Seul avec cette chose qui n'était pas de pierre.
         L'œil noir qui riait,
         Les cheveux blonds comme le soleil.

         (extrait)
         ibid p.251

 En 1975, son corps sera retrouvé sur une plage, torturé avec la plus sauvage des violences. Les circonstances et les raisons de ce crime atroce n'ont pas été élucidées jusqu'ici.
Le lien ci-dessous vous en dira davantage.
https://www.courrierinternational.com/article/italie-mort-de-pasolini-il-ete-victime-dun-massacre-tribal

Et comme si le poète avait pu prévoir sa fin dramatique, voici un poème poignant, paru dans ses œuvres complètes, après sa mort :
  
         C'est un rêve, effroyable,
         Qui est indescriptible,
         Voilà la vérité.
         Et je ne rêve pas, je suis vivant.

         À la fin du voyage

         Je ne me le dis pas, mais
         Il est bien clair que bientôt
         Ma vie finira
         Si elle n'est pas déjà finie.

         Et il était toujours clair
         Que, pour vivre, il m'était
         Nécessaire de ne pas vivre,
         Rester candide, ignorant.

         Je ne l'ai pas fait exprès :
         C'était de la curiosité, du courage,
         De l'imprudence. Il s'arrête
         Maintenant à la fin du voyage,

         L'imprudent, et il ne sait
         Que regarder autour de lui,
         Le monde, qui commence
         Maintenant avec le jour nouveau.

         ibid Appendices au Rossignol de l'église catholique Points 2013 p.237

Bibliographie:
  • Pier Paolo Pasolini, Adulte? Jamais, poèmes choisis, présentés et traduits de l'italien par René de Ceccatty, édition bilingue Points, 2013.
        
        

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