Port des Barques

Port des Barques

vendredi 7 décembre 2018

Béatrice de Jurquet, Rester sur la corde et c'est tout


               Bruits Bruissements

         Un fil ténébreux poursuit la lumière
         dans ces rues que je devrais connaître,
         sur la place ensoleillée
         les mouvements de table,
         un chat a évité le bus, de justesse.
         La jolie rousse à son portable n'a rien vu,
         le bébé dort à l'ombre dans la poussette,
         le chien attaché, qui voudrait
         une caresse, qu'on ne l'oublie pas.

         Rumeur de vie, de tout un peu, de tout un peu, de tout
         à la fois paix de sieste,
         un sourire qui s'élargit, indéfiniment.

         L'espace d'entendre est infini
         et les choses vont ensemble,
         les animaux, les arbres, nos paroles.

         in Si quelqu'un écoute, éditions la rumeur libre, 2017 p.69
   
Béatrice de Jurquet est ariégeoise de naissance. Elle vit à Lyon où elle a fait carrière en tant que psychanalyste; elle en garde un regard très observateur sur le monde et les gens qui l'entourent, qualité qui transparait dans son écriture. Sa terre natale, elle l'évoque ainsi à la première page de son recueil :

          Pays de papier

          C'est dans un village des Pyrénées
          du nom duquel je ne peux que me souvenir.
          Là où ils sont, chez eux,
          dans les montagnes issues de plaques heurtées.
          On y prétend que les arbres pleurent
          pour nous qui prenons parfois la parole, de plus en plus bas.

          De ce coté-ci du monde j'ai un pays à défendre,
          un pays qui n'existe pas qui n'existe
          que d'être écrit.

          Si je t'oublie, mon pays de papier.

          ibid p.13

Le lecteur ému, tenté de répondre à l'appel du titre : Si quelqu'un écoute, découvre alors "une poésie directe, même si elle est faite de pas feutrés et de reculs comme dans certains rêves où l'on croit atteindre et où, pourtant, l'on n'atteint pas" comme l'écrit très justement Gérard Chaliand dans la préface. Ce beau livre est alors la relation lente et pudique d'un profond cheminement.

           J'ai la tête ailleurs.

           Suspendre les pensées.
           Peindre les murs
           d'une couleur de clairière.
           Observer les oiseaux picorer la pluie.
           Boire à la santé des étoiles,
           du tigre chimérique sur l'autre rive
           qui fait le projet d'exister.

           ibid p.15

Apprivoiser ses chimères, leur donner congé pour la journée, et peindre ses murs d'une couleur de clairière ! Quel magnifique programme pour transformer en fête les plus grises journées d'hiver !
Le lecteur se sent requinqué dès la première gorgée de cet élixir poétique !

           Ce qui m'éclaire est une énigme.
           Irréelle,
           profondeur d'un soir.
           Geste,
           quand le geste n'est pas sans voix.
           Ville,
           quand sa tâche est terminée.

           Le récit de plaine sans fin
           s'arrête
           à cette ville,
           devant ses remparts pour nous attendre, irréels aussi.

           ibid p.17

L'auteur se fie aux remparts, bien qu'elle les sache irréels... et face aux multiples questions qui se posent, elle se tourne vers François d'Assise, afin que les esprits continuent de danser en paix…

           Quand j'ai eu tous les âges

           Quand j'ai eu tous les âges les choses
           dans leur nuit se sont mises à dire
           que l'eau douce je l'appellerais ma fille
           sable bruissant je lui dirais mon fils

           Aux animaux
           qui nous regardent toujours dans les yeux
           je parlerais comme à n'importe lequel d'entre nous

           et les esprits qui dansent
           ce sont les mots pour dire qu'on est heureux

           ibid p.63

À nous, qui aurons "tous les âges", d'apprendre à en faire autant.


Bibliographie:

  • Si quelqu'un écoute, Béatrice de Jurquet, La rumeur libre éditions, 2017 .
sur internet :

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