Écrits sans papiers
Le vent se lève. Les grandes pluies vont prendre le large et l'eau va sécher dans les coupelles,
sous les pots d'argile. Alors j'écrirai. Dans ma tête d'abord. Le meilleur de ce que j'écrirai
restera sans papiers, comme les hommes qui cherchent un seuil sans le trouver.
Dans l'errance.
Ensuite, je cueillerai les images, les mots, les silences, comme on récupère l'eau de pluie,
avec l'attention de la soif toujours possible. Mais mon témoignage de vie restera sans papiers.
L'important n'est pas écrit.
Le vent se lève. Un livre sur la table du jardin. Ses pages s'agitent doucement.
in Écrits sans papiers, Pour la route, entre Marrakech et Marseille, éditions la Boucherie
littéraire, collection Sur le billot, 2016, p.7
La plume voyageuse de Mireille Disdero court entre les pages de ce livre entre Marrakech, Marseille et la Provence. Avec le vent qui se lève, vivons avec elle quelques étapes de cette errance.
Cachées dans la lumière
Assis en tailleur, à l'ombre, des vieux jouent aux dominos sur la place qui touche le port.
Et tout en haut, sur un muret couvert de signes, comme de jeunes aigles, trois gars chassent
de la pointe du regard.
Fronçant les yeux jusqu'à la ride, ils scrutent les terrasses, les toits et les jardins. Ils aimeraient
surprendre les filles cachées dans la lumière comme des bijoux de verre poli par la blancheur
aveuglante de midi.
Les vieux assis en tailleur se souviennent des vagues de chaleur qui lèchent la peau, là-haut,
sur le muret couvert de mégots, à Tanger.
ibid, Vers le détroit de Gibraltar (Tanger-Maroc) p.10
Battement
Ça vient en début de nuit, quand le vent cesse, quand on est planté dans le refus de dormir.
Le marteau du silence...dans les oreilles. On écoute battre son cœur, et, comme quand on
était petite, on bouche ses oreilles avec ses mains, pour faire le silence du monde, pour
s'apaiser.
Mais le bruit du sang, le bruit de la vie qui bat est là, on ne peut l'arrêter. Il faut dormir avec,
avec ce bruit de la vie en soi...comme un torrent.
ibid Première nuit de l'autre coté de la mer (Andalousie-Espagne) p.12
À la poussière
L'homme attend sur un banc. Seul, plié en deux, songeur, peut-être malheureux. Il est en noir
et blanc. Mais derrière lui, comme sur un écran géant, un mur exulte ses couleurs chaudes qui
hurlent. Le ciel d'un jour de mistral en rajoute. Alors, dans la ville, les contrastes
s'affrontent, se cognent… tuent aussi, sûrement.
Son sac de route coincé entre ses jambes, contre le banc, cet homme est d'ici car il vient
d'ailleurs. Et ses chaussures, mangées par les chemins, racontent son voyage de poussière
en poussière.
ibid Gare Saint-Charles (Marseille-France) p.45
Un jardin
Une bastide avec des chats sauvages
la table blanche
un parasol crème et des visiteurs
qui, le dimanche, demandent leur chemin.
Autour de la maison
oliviers, abricotiers, mûriers
du linge qui sèche sous un laurier
quelques graviers du temps de la mémé
des pots d'argile et d'autres,
renversés dans la couleur.
Contre le grillage, coté levant
une pierre de voyage
posée comme une valise
avec des histoires dedans
sa terre rouge mariée à l'herbe coupée
qui sèche sur le pré
que la brise emporte déjà
que le vent emmène en voyage…
Un jardin.
ibid La Barben (Provence - France), p.34
L'important n'est pas toujours écrit, à chacun de lire entre les lignes. Plus tard, il suffira de rouvrir ce recueil et de fermer les yeux pour que remontent des images.
S'y glissera pour ma part la haute silhouette blanche du cargo de ligne
reliant Sète à Tanger et vice–versa. Lesté de tous mes rêves, il piquera toujours vers le large, dans la lumière bleue d'un soir d'été.
(voir photo jointe de Roselyne Fritel)
Bibliographie:
- Écrits sans papiers, Pour la route entre Marrakech et Marseille, éditions la Boucherie littéraire, 2016.
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