Les saisons du sang
J'ai des saisons dans le sang
J'ai le battement des mers
J'ai le tassement des montagnes
J'ai les tensions de l'orage
La rémission des vallées
J'ai des saisons dans le sang
J'ai des algues qui me retiennent
J'ai des hélices pour l'éveil
J'ai des noyades
J'ai des leviers
J'ai des entraves
J'ai délivrance
J'ai des combats
J'ai fleur et paix.
in Poèmes pour un texte, Fraternité de la parole (1976), Flammarion,1991, p.76
Andrée Chedid réunit dans ce recueil, Poèmes pour un texte, (1970-1991), une grande partie des recueils publiés dans Textes pour un poème, en 1987. Une démarche qui traduit une volonté de creuser toujours plus profond son propre cheminement poétique.
Née au Caire, en 1920, élevée dans des pensionnats, elle obtient un doctorat de L'université américaine du Caire, parle trois langues, l'arabe, l'anglais et le français, avant de rencontrer Louis Chedid, qui devient son époux en 1941. Poète et romancière, elle résidera à Paris à partir de 1946, et y décèdera en février 2011.
À propos de son enfance, elle écrit dans Épreuves du Vivant, paru chez Flammarion, en 1983 :
Regarder l'enfance
Jusqu'aux bords de ta vie
Tu porteras ton enfance
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses peurs
Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant chemin
Singulier et magique
L'œil de ton enfance
Qui détient à sa source
L'univers des regards.
in Anthologie de la poésie française du XX° siècle, Poésie/Gallimard, 2000, p.164
Si notre avenir se dessine dans l'enfance, notre futur se forge entre choix et épreuves.
Épreuves du poète
En ce monde
Où la vie
Se disloque
Ou s'assemble
Sans répit
Le poète
Enlace le mystère
Invente le poème
Ses pouvoirs de partage
Sa lueur sous les replis.
in Épreuves du vivant, Flammarion, 1963
Quel beau destin dès lors que celui du poète !
Épreuves du chant
Homme de tous lieux
Otage des mots
Saisi par des lois
Arrêté par le temps
Jamais les meutes ne trancheront ton cri
Aucun traquenard n'asservira ton rêve
Toi dont la voix s'évase
vers la houle du chant.
in Épreuves du vivant, Flammarion, 1963
Vivre innove le logis
Quand l'aube s'éprend de la ville
J'émerge des linges de l'absence
Je fracture les serrures du temps
J'échappe au cerne des mots
Quand l'aube s'éprend de la ville
L'avenir élève ses arches
La mémoire tire braises de l'ombre
Vivre innove le logis.
ibid Visage premier (1970-1972), p.29
La poésie demeure le fondement de sa vie, elle l'anime toute entière.
L'éclair me tient
Je me déchiffre dans les marées
le va-et-vient des ombres
Je me nomme
du nom des noyés
Tout s'écarte
Les sables rongent
Puis d'un signe
Je me délie
Je suis lauriers et certitude
Le chant plane
L'éclair me tient.
ibid p.22
J'ai eu la chance d'entendre et d'approcher Andrée Chedid, à la maison de la Poésie et je peux témoigner de l'authenticité et de la ferveur, qui rayonnaient d'elle.
Je
Qui me quitte et m'habite
Qui me débusque et se dérobe
Qui dérive tandis que je m'emmure
Qui se rive alors que je fuis
Qui est sans grappe
Qui est la saveur même
Qui m'assiège et m'écorche
Me lâche dans les ravins
Qui est abrupt comme l'écorce
Humble comme les puits
Qui est mon bec ou ma lande
Qui me happe et me traverse
Me résiste me défie
Qui me berce et m'emporte
Qui me réconcilie ?
in Textes pour un poème, Contre-Chant, Flammarion, 1987, p.263
Se nourrir de ces poèmes ne peut que nous apporter force et ouverture, dans un monde qui a de plus en plus tendance à ignorer l'autre et à se recroqueviller sur lui-même.
Bibliographie:
- Textes pour un poème, 1949-1970, Flammarion 1987
- Poèmes pour un texte, 1970-1991, Flammarion, 1991
sur internet:
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