Port des Barques

Port des Barques

vendredi 13 avril 2018

Claude Albarède écrire dans la pierre un peu plus d'émotion



         Avançons-nous
         sans rien forcer
         vers les reflets
         d'un peu de pluie
         entre deux pierres

         D'un brin de sève
         dans une écorce

          Avançons-nous
          vers ces lieux calmes
          qui nous promettent
          reconnaissance

          Nous qui ne sommes
          qu'armés d'absence
          et de ruptures.

          in Le dehors intime, L'herbe qui tremble, 2016, p.22

Le 19 janvier 2018, le poète, convié par Catherine Jarret responsable de l'association  Le territoire du poème, lisait ses poèmes dans la salle du premier étage de la brasserie Le François Coppée, au n°1 bd du Montparnasse, à Paris.

Claude Albarède, naît à Sète en 1937. La ville est bombardée dans les années 40.
Réfugié chez ses grands parents, au nord de la Lozère, il explorera la garrigue avec sa grand mère "aux confins du Larzac, sur la terre de ses ancêtres, ouvriers tisserands, écorcheurs de chênes et petits viticulteurs", nous précise la quatrième de couverture de son dernier recueil, Le dehors intime, publié par L'herbe qui tremble, en 2016.

Au fil de ce livre, il décrit longuement la Lozère. Je me souviens, pour l'avoir arpentée, que cette nature âpre et sauvage, est sillonnée d'anciennes voies romaines, où les roues des chars ont gravé dans la pierre la trace de leurs sillons.

                Aux limites du sentier, dans l'arrière-pays, lieu de rocaille et de lozère, l'éternité n'est pas 
           loin. Les quelques pousses, qui ont percé la roche, les touffes sèches qui, sous le vent,
           arrachent au clapier des bruits de bêtes, entretiennent un feu en sommeil, toujours vivace
           parmi la mort...Nous, qui depuis l'aurore, jetés dans les espaces, n'avons rien conservé de
           ces bains de lumière, sinon la sueur rêche et le désir, que n'arrêterons-nous notre marche
           parmi ces pierres encloses en leur patience, rempart d'éternité ?

           in Un chaos praticable, L'herbe qui tremble, 2011, p.52

Ailleurs, il évoque les villages endormis dans la chaleur de l'été :

           Les platanes fous dans le village
           avec cette chaleur
           découpée au couteau

           Ils en gardent l'écorce
           des chevaux desséchés
           qui face au vent de terre
           retournent leurs naseaux.

           in Résurgences, Éditions folle Avoine, 2008, p.11

           Les soirs de canicule
           on s'assoit sous l'horloge
           pour écouter le cœur
           estimer le désir.

           Une hirondelle passe
           avec sa lettre noire
           à glisser sous la porte.

           Une femme tricote
           l'angora qui déjà
           hiberne à ses genoux.

           ibid p.18

Le poète, avec une économie de mots, nous décrit de façon émouvante la vie quotidienne, vécue sous la menace d'un  inexorable dépeuplement.

           Tout se décloue
           le vent
           même emporte les ombres
           dans le village mort.

           Et le soleil
           sur le chemin
           s'abandonne aux rôdeurs.

           Les mêmes lois du vide
           consacrées aux maraudes
           écartèlent la rouille
           à la croix du donjon.

           in Résurgences, Éditions Folle Avoine, 2008, p.22

           Les nuits
           incrustées dans les murs
           ne font pas oublier
           les herbes d'impatience
           qui boivent le soleil.

           Ces herbes aux doigts brûlés
           comme cette écriture
           qu'à chaque nuit les murs
           émiettent sur terre.

           ibid p.38

 "J'écris en donnant l'impression de me remémorer des images, mais je les invente. Le Larzac, c'est mon assise aride : pierre, air, chaos, oiseau, eau, feu, terre, maison, ruine..." Je me bats pour écrire, il faut que ça m'accroche, me blesse, et me fasse mal. "Le poème doit laisser une empreinte", précise le poète.
Il rédige, entre 2007 et 2010, "Un chaos praticable", recueil en prose "contre ce qui remonte des colères enfouies":

              Paysage de ruines où le soleil soudain ouvre la main pour travailler dans l'oubli. Nous
         prenons part au silence devant ces pierres arrêtées sur le gouffre. Nous méditons devant
         les traces qui dans les rocs descendent vers l'abîme. Risques et ronces n'y peuvent rien,
         l'abrupt reflète ce qui demeure, cette mémoire de pauvreté qui nous racine devant le vide.

         in Un chaos praticable, L'herbe qui tremble 2011, p.49

Ce chaos inévitable, il choisit d'en faire son chemin : "si l'on se plie aux risques, tout chemin trace l'homme, toute aventure le tient pour dit, et si l'on y consent, si l'on accepte le dur trajet, tout paysage invente  son poème."

               À la longue on verra, dans l'interstice des rocs, naître une fleur, une offre aromatique après
         l'orage de la nuit. Pas de message, mais un présage : la vie émane de la terre, et même de la plus
         aride, la plus rebelle. Celle qui longtemps lutta, battit son dur jardin pour l'imprégner d'émotion.
         Blessure ouverte aux racines qui feront toujours exister l'intuition du fruit.

         ibid p.44

"Écrire dans la pierre un peu plus d'émotion" s'impose encore à l'auteur dans son recueil  intitulé Ajour, qui reprend un des titres du poète André du Bouchet.

Selon Claude Albarède, "la poésie si confuse de loin et de près si troublante devrait laisser chez le lecteur une empreinte palpable, qui aurait " la pesée d'un rêve qui s'en va". Défi tenu, selon moi.

         Le don

         Une pierre est frôlée
         un brin d'herbe frisonne
         une aile passe
         et caresse le vent

         Tout se retient et se donne
         dans le chemin
         imprenable du monde

         Comme cette pensée
         qui vole autour des hommes
         ce souvenir
         où le temps recommence
         et cet amour
         plus court chemin ensemble
         de la terre au soleil.

         in La dépensée, éditions L'arbre à paroles, 2009, p.33



Bibliographie :
  • Résurgences, éditions Folle Avoine 2008
  • La dépensée, éditions L'arbre à paroles, 2009
  • Un chaos praticable, éditions L'herbe qui tremble, 2011
  • Le dehors intime, éditions L'herbe qui tremble, 2016
sur internet :

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