Avançons-nous
sans rien forcer
vers les reflets
d'un peu de pluie
entre deux pierres
D'un brin de sève
dans une écorce
Avançons-nous
vers ces lieux calmes
qui nous promettent
reconnaissance
Nous qui ne sommes
qu'armés d'absence
et de ruptures.
in Le dehors intime, L'herbe qui tremble, 2016, p.22
Le 19 janvier 2018, le poète, convié par Catherine Jarret responsable de l'association Le territoire du poème, lisait ses poèmes dans la salle du premier étage de la brasserie Le François Coppée, au n°1 bd du Montparnasse, à Paris.
Claude Albarède, naît à Sète en 1937. La ville est bombardée dans les années 40.
Réfugié chez ses grands parents, au nord de la Lozère, il explorera la garrigue avec sa grand mère "aux confins du Larzac, sur la terre de ses ancêtres, ouvriers tisserands, écorcheurs de chênes et petits viticulteurs", nous précise la quatrième de couverture de son dernier recueil, Le dehors intime, publié par L'herbe qui tremble, en 2016.
Au fil de ce livre, il décrit longuement la Lozère. Je me souviens, pour l'avoir arpentée, que cette nature âpre et sauvage, est sillonnée d'anciennes voies romaines, où les roues des chars ont gravé dans la pierre la trace de leurs sillons.
Aux limites du sentier, dans l'arrière-pays, lieu de rocaille et de lozère, l'éternité n'est pas
loin. Les quelques pousses, qui ont percé la roche, les touffes sèches qui, sous le vent,
arrachent au clapier des bruits de bêtes, entretiennent un feu en sommeil, toujours vivace
parmi la mort...Nous, qui depuis l'aurore, jetés dans les espaces, n'avons rien conservé de
ces bains de lumière, sinon la sueur rêche et le désir, que n'arrêterons-nous notre marche
parmi ces pierres encloses en leur patience, rempart d'éternité ?
in Un chaos praticable, L'herbe qui tremble, 2011, p.52
Ailleurs, il évoque les villages endormis dans la chaleur de l'été :
Les platanes fous dans le village
avec cette chaleur
découpée au couteau
Ils en gardent l'écorce
des chevaux desséchés
qui face au vent de terre
retournent leurs naseaux.
in Résurgences, Éditions folle Avoine, 2008, p.11
Les soirs de canicule
on s'assoit sous l'horloge
pour écouter le cœur
estimer le désir.
Une hirondelle passe
avec sa lettre noire
à glisser sous la porte.
Une femme tricote
l'angora qui déjà
hiberne à ses genoux.
ibid p.18
Le poète, avec une économie de mots, nous décrit de façon émouvante la vie quotidienne, vécue sous la menace d'un inexorable dépeuplement.
Tout se décloue
le vent
même emporte les ombres
dans le village mort.
Et le soleil
sur le chemin
s'abandonne aux rôdeurs.
Les mêmes lois du vide
consacrées aux maraudes
écartèlent la rouille
à la croix du donjon.
in Résurgences, Éditions Folle Avoine, 2008, p.22
Les nuits
incrustées dans les murs
ne font pas oublier
les herbes d'impatience
qui boivent le soleil.
Ces herbes aux doigts brûlés
comme cette écriture
qu'à chaque nuit les murs
émiettent sur terre.
ibid p.38
"J'écris en donnant l'impression de me remémorer des images, mais je les invente. Le Larzac, c'est mon assise aride : pierre, air, chaos, oiseau, eau, feu, terre, maison, ruine..." Je me bats pour écrire, il faut que ça m'accroche, me blesse, et me fasse mal. "Le poème doit laisser une empreinte", précise le poète.
Il rédige, entre 2007 et 2010, "Un chaos praticable", recueil en prose "contre ce qui remonte des colères enfouies":
Paysage de ruines où le soleil soudain ouvre la main pour travailler dans l'oubli. Nous
prenons part au silence devant ces pierres arrêtées sur le gouffre. Nous méditons devant
les traces qui dans les rocs descendent vers l'abîme. Risques et ronces n'y peuvent rien,
l'abrupt reflète ce qui demeure, cette mémoire de pauvreté qui nous racine devant le vide.
in Un chaos praticable, L'herbe qui tremble 2011, p.49
Ce chaos inévitable, il choisit d'en faire son chemin : "si l'on se plie aux risques, tout chemin trace l'homme, toute aventure le tient pour dit, et si l'on y consent, si l'on accepte le dur trajet, tout paysage invente son poème."
À la longue on verra, dans l'interstice des rocs, naître une fleur, une offre aromatique après
l'orage de la nuit. Pas de message, mais un présage : la vie émane de la terre, et même de la plus
aride, la plus rebelle. Celle qui longtemps lutta, battit son dur jardin pour l'imprégner d'émotion.
Blessure ouverte aux racines qui feront toujours exister l'intuition du fruit.
ibid p.44
"Écrire dans la pierre un peu plus d'émotion" s'impose encore à l'auteur dans son recueil intitulé Ajour, qui reprend un des titres du poète André du Bouchet.
Selon Claude Albarède, "la poésie si confuse de loin et de près si troublante devrait laisser chez le lecteur une empreinte palpable, qui aurait " la pesée d'un rêve qui s'en va". Défi tenu, selon moi.
Le don
Une pierre est frôlée
un brin d'herbe frisonne
une aile passe
et caresse le vent
Tout se retient et se donne
dans le chemin
imprenable du monde
Comme cette pensée
qui vole autour des hommes
ce souvenir
où le temps recommence
et cet amour
plus court chemin ensemble
de la terre au soleil.
in La dépensée, éditions L'arbre à paroles, 2009, p.33
Bibliographie :
- Résurgences, éditions Folle Avoine 2008
- La dépensée, éditions L'arbre à paroles, 2009
- Un chaos praticable, éditions L'herbe qui tremble, 2011
- Le dehors intime, éditions L'herbe qui tremble, 2016
- https://lherbequitremble.fr/catalogue-Albarede.html
- https://www.recoursaupoeme.fr/claude-albarede-le-dehors-intime/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire