Port des Barques

Port des Barques

vendredi 24 février 2017

Ashur Etwebi j'accrocherai le jour à une chaussure de vent




         La bobine

         Je tiens la bobine d'une main
         De l'autre, un fil
         Le ciel est là-bas, au-dessus de la montagne
         Il me faut faire envoler ma solitude avec ce fil
         Je la vois s'élever encore et encore
         Et lorsque la queue de ma solitude disparaîtra
         Je trancherai le fil
         Et jetterai la bobine dans le puits

         in Un jet de pierre, Al Manar 2016 p.11

Sète, soirée d'ouverture du Festival de Poésie, 22 juillet 2016 dans les Jardins du Château d'Eau : Ashur Etwebi, un poète lybien,  dit en arabe un de ses poèmes, suit sa traduction en français, qui retient aussitôt mon attention.
Cette voix s'imposera comme l'une de ces "Voix vives" de la Méditerranée, que nous offre chaque année le Festival.

L'auteur, né à Tripoli en 1952, est médecin, romancier et poète, auteur de neufs recueils de poésie.  Il a traduit en arabe plusieurs poètes américains, canadiens et lithuaniens et compte parmi les poètes les plus renommés de Lybie, nous dit  la quatrième de couverture de ce recueil, Un jet de pierre, paru en version bilingue, arabe - français, aux éditions Al Manar à l'occasion du Festival Voies Vives de méditerranée en méditerranée, 2016.
Contraint à l'exil en 2015, après l'attaque et la confiscation de sa maison à Tripoli, il vit désormais à Trondheim en Norvège.

         Une maison dans le vent

         Au bout d'une fragile après-midi
         Une mer immense
         Des arbres évidés
         Un papillon, une tombe

         Je suis ici
         Les villageois aussi
         Et des contes en d'étranges langues
         Ici sont des verbes brisés

         Pourquoi n'ai-je pas su
         Que je m'accoudais à l'oreiller de l'absence
         Que le grillon terrifiait la petite chenille
         Que les mots étaient perdus, le café léger
         Pourquoi n'ai-je pas su que les yeux étaient voilés, et la cloche, maudite !

         Les vieilles barques ont levé les visages des réfugiés comme voiles
         Seuls les êtres terrifiés peuvent construire une maison dans le vent

         ibid p.7


 Ashur Etwebi use de l'ironie comme d'une arme dans ses haïkus de guerre  :

         Sur le char
         Le pied du jeune tué
         Se balance avec le vent de fin de soirée

         ibid p.59


          L'homme armé a parlé à son camarade du tatouage
          sur le bras de sa bien aimée
          mais il n'a pu achever son histoire

          ibid p.61

La poésie se nourrit de droiture et de noblesse. Elle est de tout temps un sursaut dans la détresse, la voix qui interpelle et redonne courage. Elle se fait d'autant plus ardente que l'on tente de la museler. Ashur Etwebi nous en offre un éloquent témoignage :

         Le faucon se lève-t-il sans ailes ?

         une aile jetée sur le sol
         une autre agite le vent
         une aile, plume à son début
         à sa fin, sanglot
         l'œil de chaque aile est encrier
         dans le cœur de chaque encrier, une écriture unique
         la plume est le fard des pauvres
         l'encrier est le gardien des secrets du cierge
         le sanglot est sans pagne

         À jamais ouvert

         ibid p.31



         Les ombres

         Les ombres qui nous quittent la nuit, jamais ne reviennent
         même celles qui nous arrivent à l'aube, ne sont pas nôtres
         Alors quoi ?
         Nous arrachons notre peau
         Répandons autour de nous ce que nous pouvons d'histoires
         Puis nous penchons sur nos prières, silencieux

         Comment savoir que cet air que je respire ici n'est pas le
         même dans ce pays lointain ?
         Comment savoir que ces pierres couvertes de neige
                       maintenant, ne sont autres que celles dont le vent
                       a déchiré la chemise ?
          Comment savoir que ce cœur qui tremble maintenant,
          sera un fort et ma monture pour cet ailleurs ?

          ibid p.49


Bibliographie :
  • Ashur Etwebi, Un jet de pierre, Al Manar, 2016
sur internet :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire