Port des Barques

Port des Barques

vendredi 9 décembre 2016

Cécile A. Holdhan parole de feuille


          J'ai grandi
          en dévidant nuit et jour
          l'écheveau des rêves

          venez, oiseaux, venez faire vos nids
          dans ma tête de paille
          car l'été n'existe plus que
          dans ces brindilles sèches

          prenez oiseaux, prenez aux herbes
          de la morte saison.

         in Poèmes d'après, suivi de La route de sel, (poèmes pour Emilia) Arfuyen, 2016, p.81

Cécile A. Holdban, d'origine hongroise, est née à Stuttgart, en Allemagne en 1974 et vit aujourd'hui à Paris.
Ce recueil, paru en 2016, chez Arfuyen, comporte deux parties distinctes: les trois chapitres de Poèmes d'après, suivi de La route de sel.
Le ton en est grave et parfois douloureux mais avec une parfaite maîtrise de la langue française l'auteur perçoit et nomme les signes heureux entrevus, comme autant d'étincelles sur une route déserte.


                                   C'était une période où Dieu se taisait

         Quelle main rassemblera
         les fragments laissés à la nuit ?

         Le sang noircit dans les maisons
         des toits aux fondations
         rien ne tremble, rien ne circule,
         des langues de haillons captives
         se taisent dans la nasse des bouches

         bastions agonisant
         une armée entière de mots
         est prostrée dans l'aube

         quelle main rassemblera
         la substance en éclats ?
         Cette matière en quoi nous creusions
         nos patries d'amour .

         in Poèmes d'après, Arfuyen 2016, p.9


La route de sel peut s'avérer, elle aussi, très aride  :


         Il y a des secrets que je cache
         des miracles dont j'ai été témoin
         des souhaits qui jamais n'ont pu naître
         dans l'absence de l'aube

         mais dans cette maison d'aveugle
         qu'un jour j'ai nommée mon foyer
         je sais bien mieux que vous
         la forme des choses à venir.

         Je ne suis pas une sorcière
         je suis l'arbre qui murmure
         et je porte sur une branche sacrée
         la feuille qui te guérira

         viens, à présent, la cueillir
         monte aussi haut que tu peux
         tandis que la pleine lune
         bénit ta paume tendre.

         in La route  de sel p.84

La forme des choses à venir vaut cependant l'effort d'avancer "en mesurant son pas aux dernières lueurs du jour" et en symbiose avec une nature amoureusement observée :

          Sur un coude du tilleul
          le jour se ramifie
          dans ma robe de branches
          je me souviens
          de ces danses léguées par les passereaux
          du temps où les bois était peau et chair d'une femme.

          Demain
          les clefs dans la main je traverserai la rue
          comme l'arbre je n'aurai qu'une parole de feuille
          l'écharpe glissera de ma hanche
          à ma bouche il y aura peut-être la lune
          et pieds nus dans la gigue triste des adieux
          je compterai les yeux clos
          les pétales de la nuit.

          in Poèmes d'après, p.22


          Des feuilles, des mains jetées du ciel
          pour bercer
          notre entrée dans la nuit
          repriser
          secrètement le soleil
          aimer
          comme seuls les enfants savent.

          ibid p.52

         Tes yeux sont les tessons d'une fenêtre d'hiver
         que le givre recouvre tu grattes pour y voir au dehors la glace
         fondue le verre est froid la peau est lisse et bien fermée
         les grains de sable de ta peau, minuscules
         grains milliers de grains réunis dans un corps pour cette seule fenêtre
         tes yeux sont les tessons de la vitre du ciel
         éclatée dans la haute clarté d'un jour de décembre
         ténèbres sur tes yeux.

         ibid.p.14

Le poète se vit successivement, feuille salvatrice, tesson de verre, vitre éclatée du ciel et son lecteur, emporté et séduit, se métamorphose à sa suite, il sent, vibre, aime, souffre ou se réjouit. Il en émerge  étonné, parfois essoufflé, mais grisé d'images et d'alliances inattendues, de mots poignants, de gestes qui justifient une vie, le tout vécu et exprimé en plusieurs langues si besoin.
On perçoit aussi combien ont compté pour l'auteur la lecture approfondie de poètes de tout horizon, auxquels elle fait référence à nombre d'occasions.
L'originalité de cette voix séduit l'oreille par son ardente authenticité.

Il se trouve que je connaissais et appréciais Cécile A.Holdhan comme auteur de haïkus mais, qu'en achetant ce recueil chez Arfuyen, lors du dernier Marché de la Poésie, je n'ai pas réalisé qu'il s'agissait de la même personne. Je m'en réjouis depuis, doublement.

Il existe également, un ravissant petit livre d'elle,  Une robe couleur de jour, édité par les soins de Lydia Padellec, aux Éditions de la Lune Bleue, en français et en hongrois, en juin 2016, avec des aquarelles de Catherine Sourdillon. Je cite :

            Parfois j'efface
            les lignes de nos paumes
            pour y tracer des tiges de fleurs et d'herbes
            quelques cailloux clairs
            dans la lune pleine

            Parfois dans l'écheveau des veines
            je répands une source
            vive qui déborde le lit de nos mains,
            file explorer le continent
            de nos silences.

            in Une robe couleur de jour, Éditions de la Lune Bleue, 2016


Le texte, qui suit, rappelle la complexité des temps actuels. Le poète nous y invite à poursuivre notre marche, bêtes d'ombres certes, mais libres. Il tiendra lieu de conclusion.

           Solitude des seuils
           solitude des rives

           on marche
           sans l'étreinte du temps
           bêtes d'ombres mais
           libres.

           On marche
           dans le moût de la terre
           au flanc brisé des pierres
           chair brassée d'écume
 
           on marche dans des champs
           des forges
           désertées par le feu.

           On marche
           sous des rameaux
           aux graines d'amertume
           dans le sel de l'autan
           la couture des fleuves

           à l'horizon tranchant
           dans le bois du sumac
           des dunes.

           On marche dans les remous
           les cratères d'îles
           qu'aucune algue ne lie
           dans le miel de brèche
           dont la cire se trouble
           les fleurs sans éclat.

           On marche
           sur la toison rêche du monde
           son extrême relief de glace
           où la lumière aveugle
           et où on
           disparaît.

           in La route de sel ( Poèmes pour Emilia ) p.108/109

Bibliographie :
  • Poèmes d'après suivi de La route du sel, Arfuyen, 2016
  • Une robe couleur de jour, Éditions de la Lune Bleue, 2016
sur internet:

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