J'ai grandi
en dévidant nuit et jour
l'écheveau des rêves
venez, oiseaux, venez faire vos nids
dans ma tête de paille
car l'été n'existe plus que
dans ces brindilles sèches
prenez oiseaux, prenez aux herbes
de la morte saison.
in Poèmes d'après, suivi de La route de sel, (poèmes pour Emilia) Arfuyen, 2016, p.81
Cécile A. Holdban, d'origine hongroise, est née à Stuttgart, en Allemagne en 1974 et vit aujourd'hui à Paris.
Ce recueil, paru en 2016, chez Arfuyen, comporte deux parties distinctes: les trois chapitres de Poèmes d'après, suivi de La route de sel.
Le ton en est grave et parfois douloureux mais avec une parfaite maîtrise de la langue française l'auteur perçoit et nomme les signes heureux entrevus, comme autant d'étincelles sur une route déserte.
C'était une période où Dieu se taisait
Quelle main rassemblera
les fragments laissés à la nuit ?
Le sang noircit dans les maisons
des toits aux fondations
rien ne tremble, rien ne circule,
des langues de haillons captives
se taisent dans la nasse des bouches
bastions agonisant
une armée entière de mots
est prostrée dans l'aube
quelle main rassemblera
la substance en éclats ?
Cette matière en quoi nous creusions
nos patries d'amour .
in Poèmes d'après, Arfuyen 2016, p.9
La route de sel peut s'avérer, elle aussi, très aride :
Il y a des secrets que je cache
des miracles dont j'ai été témoin
des souhaits qui jamais n'ont pu naître
dans l'absence de l'aube
mais dans cette maison d'aveugle
qu'un jour j'ai nommée mon foyer
je sais bien mieux que vous
la forme des choses à venir.
Je ne suis pas une sorcière
je suis l'arbre qui murmure
et je porte sur une branche sacrée
la feuille qui te guérira
viens, à présent, la cueillir
monte aussi haut que tu peux
tandis que la pleine lune
bénit ta paume tendre.
in La route de sel p.84
La forme des choses à venir vaut cependant l'effort d'avancer "en mesurant son pas aux dernières lueurs du jour" et en symbiose avec une nature amoureusement observée :
Sur un coude du tilleul
le jour se ramifie
dans ma robe de branches
je me souviens
de ces danses léguées par les passereaux
du temps où les bois était peau et chair d'une femme.
Demain
les clefs dans la main je traverserai la rue
comme l'arbre je n'aurai qu'une parole de feuille
l'écharpe glissera de ma hanche
à ma bouche il y aura peut-être la lune
et pieds nus dans la gigue triste des adieux
je compterai les yeux clos
les pétales de la nuit.
in Poèmes d'après, p.22
Des feuilles, des mains jetées du ciel
pour bercer
notre entrée dans la nuit
repriser
secrètement le soleil
aimer
comme seuls les enfants savent.
ibid p.52
Tes yeux sont les tessons d'une fenêtre d'hiver
que le givre recouvre tu grattes pour y voir au dehors la glace
fondue le verre est froid la peau est lisse et bien fermée
les grains de sable de ta peau, minuscules
grains milliers de grains réunis dans un corps pour cette seule fenêtre
tes yeux sont les tessons de la vitre du ciel
éclatée dans la haute clarté d'un jour de décembre
ténèbres sur tes yeux.
ibid.p.14
Le poète se vit successivement, feuille salvatrice, tesson de verre, vitre éclatée du ciel et son lecteur, emporté et séduit, se métamorphose à sa suite, il sent, vibre, aime, souffre ou se réjouit. Il en émerge étonné, parfois essoufflé, mais grisé d'images et d'alliances inattendues, de mots poignants, de gestes qui justifient une vie, le tout vécu et exprimé en plusieurs langues si besoin.
On perçoit aussi combien ont compté pour l'auteur la lecture approfondie de poètes de tout horizon, auxquels elle fait référence à nombre d'occasions.
L'originalité de cette voix séduit l'oreille par son ardente authenticité.
Il se trouve que je connaissais et appréciais Cécile A.Holdhan comme auteur de haïkus mais, qu'en achetant ce recueil chez Arfuyen, lors du dernier Marché de la Poésie, je n'ai pas réalisé qu'il s'agissait de la même personne. Je m'en réjouis depuis, doublement.
Il existe également, un ravissant petit livre d'elle, Une robe couleur de jour, édité par les soins de Lydia Padellec, aux Éditions de la Lune Bleue, en français et en hongrois, en juin 2016, avec des aquarelles de Catherine Sourdillon. Je cite :
Parfois j'efface
les lignes de nos paumes
pour y tracer des tiges de fleurs et d'herbes
quelques cailloux clairs
dans la lune pleine
Parfois dans l'écheveau des veines
je répands une source
vive qui déborde le lit de nos mains,
file explorer le continent
de nos silences.
in Une robe couleur de jour, Éditions de la Lune Bleue, 2016
Le texte, qui suit, rappelle la complexité des temps actuels. Le poète nous y invite à poursuivre notre marche, bêtes d'ombres certes, mais libres. Il tiendra lieu de conclusion.
Solitude des seuils
solitude des rives
on marche
sans l'étreinte du temps
bêtes d'ombres mais
libres.
On marche
dans le moût de la terre
au flanc brisé des pierres
chair brassée d'écume
on marche dans des champs
des forges
désertées par le feu.
On marche
sous des rameaux
aux graines d'amertume
dans le sel de l'autan
la couture des fleuves
à l'horizon tranchant
dans le bois du sumac
des dunes.
On marche dans les remous
les cratères d'îles
qu'aucune algue ne lie
dans le miel de brèche
dont la cire se trouble
les fleurs sans éclat.
On marche
sur la toison rêche du monde
son extrême relief de glace
où la lumière aveugle
et où on
disparaît.
in La route de sel ( Poèmes pour Emilia ) p.108/109
Bibliographie :
- Poèmes d'après suivi de La route du sel, Arfuyen, 2016
- Une robe couleur de jour, Éditions de la Lune Bleue, 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire