Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds
Dorment sur l'eau qui fume,
et croisent dans la brume,
en légers tourbillons,
leurs pavillons.
La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi- voilé.
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
Et les ponts et les rues,
Et les mornes statues
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
– Ah! maintenant plus d'une
Attend au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.
Pour le bal qu'on prépare
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
Sur sa couche embaumée
La Vanina pâmée
Presse encor son amant
En s'endormant.
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin
Et qui, dans l'Italie
N'a son grain de folie?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours?
Laissons la vieille horloge
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté !
Alfred de Musset, in Premières poésies, 1828
Coucher de soleil sur La Salute, novembre 2016
Le soleil était descendu derrière les Monts Vicentins. De grandes nuées violettes traversaient le ciel au-dessus de Venise. La tour de Saint Marc, les coupoles de
Sainte Marie, et cette pépinière de flèches et de minarets qui s'élèvent de tous les points
de la ville se dessinaient en aiguilles noires sur le ton scintillant de l'horizon. Le ciel
arrivait, par une admirable dégradation de nuances, du rouge cerise au bleu de smalt;
et l'eau, calme et limpide comme une glace, recevait exactement le reflet de cette immense
irisation. Au-dessous de la ville elle avait l'air d'un grand miroir de cuivre rouge. Jamais je
n'avais vu Venise si belle et féérique. Cette noire silhouette, jetée entre le ciel et l'eau ardente
comme dans une mer de feu, était alors une de ces sublimes aberrations d'architecture que le
poète de l'Apocalypse a dû voir flotter sur les grèves de Patmos quand il rêvait sa Jérusalem
nouvelle, et qu'il la comparait à une belle épousée de la veille.
Peu à peu les couleurs s'obscurcirent, les contours devinrent plus massifs, les
profondeurs plus mystérieuses. Venise prit l'aspect d'une flotte immense, puis d'un bois de
hauts cyprès où les canaux s'enfonçaient comme de grands chemins de sable argenté.
George Sand, in Lettres d'un voyageur, Nouvelle édition 1857, éditions Paris Michel
Levy Frères, libraires, chapitre II, p.57
La Venise éternelle, que menace la mer, porte toujours en elle la magie séductrice, qui fit rêver des générations de peintres et de poètes.
Canaletto
Comme l'œuvre de ses fuseaux,
Venise ressemble à l'agate
avec ses veines de canaux
Une plaque dans le quartier de La Salute rappelle Henri de Régnier, un autre amoureux de Venise, qui disait d'elle:
Car sinueuse et délicateComme l'œuvre de ses fuseaux,
Venise ressemble à l'agate
avec ses veines de canaux
Les photos incluses sont la propriété de Roselyne Fritel
sur internet:
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