Port des Barques

Port des Barques

vendredi 2 septembre 2016

Stéphane Bataillon Ne garder que les mots



         Traverser son désert
          y rencontrer ses peuples
          ses tribus et ses fauves


          Se joindre au mouvement
          pour que rien ne s'y fige
          en le cartographiant


          Maintenir le serment
          de ne rien attaquer

          Et déplacer les dunes
          par la seule ambition
          de se relier ensemble.

          in Où nos ombres s'épousent, Vivre l'absence, éditions Bruno Doucey 2016, p.25

Se re-lier ensemble, patiemment, comme celui qui assure une présence au-delà de la perte.
Reprendre d'un regard la marche de l'entre-soi, en s'économisant quand la lune décline, ne garder que les mots et puis les écouter.

Ce dernier recueil de Stéphane Bataillon, Où nos ombres s'épousent, Vivre l'absence, paru en juillet dernier aux Éditions Bruno Doucey, reprend et prolonge le premier, publié en 2010 par ce même éditeur.

Cette seconde édition enrichie marque le temps venu de vivre l'absence, de restaurer le sable sans rien figer, au jour le jour, en accueillant timidement les prémices d'une vie renaissante.
Le livre s'écrit à l'infinitif  – comme ce qui ne peut finir – afin de :
         
          Laisser monter le chant
          pour rester au plus proche
          de notre découverte

          Espérer qu'un matin
          on saura le reprendre.

          ibid p.38

         Annuler la distance
         qui séparait des monstres
         pour mieux les accueillir

         Alors
         l'ombre retrouve sa place
         dans l'enclos du poème

         Alors
         la trêve est possible.

         ibid p.35



Il n'est question ni de tourner la page, ni de changer de route mais de poursuivre et faire sonner le chant de l'inconditionnel, où nos ombres s'épousent et s'imposent comme autant de gages d'amour.
Cette démarche sera reprise dans Terres rares, son second recueil édité également par Bruno Doucey, en 2013.

          Assurer chaque pas
          en criant sa victoire

          Et garder ses silences
          pour les âmes conjointes

          Pour qu'elles puissent rester libres
          de nous accompagner.

          ibid p.74

Dans cette édition de 2016, Stéphane Bataillon choisit délibérément de témoigner de son expérience du deuil, sous le titre de Poursuites. On ne poursuit que ce qui nous est vital et très cher.

          2
          L'expérience du deuil est signe d'une communion. Aucun
          besoin de noms, de circonstances, de narration. Il y a,
          puis il n'y a plus celle ou celui. Nous restons seuls. Mais
          une présence fragile, qui pourrait rendre fou à hauteur
          de l'amour porté, nous accompagne. Nous devons l'appri-
          voiser, d'une lutte. Une lutte qui se joue derrière chaque
          parole et que seul le poème, parole des paroles, peut
          essayer de dire.

          ibid Poursuites, p.99

          3
          Cette parole travaillée pour cercler le silence, le conte-
          nir et l'accepter, a été pour moi la possibilité d'un après.
          Je n'imaginais pas que ces poèmes puissent participer, et
          de si nombreuses fois, au travail des autres. En séance de
          dédicaces, c'est un simple "moi aussi, j'ai perdu" qui fait
          nous reconnaître.
          (...)
          ibid p.99

          6
          Crier. Il faut réussir à crier. Un bon coup. Face au mur de sa
          chambre. Face aux arbres. Face à la mer. À défaut, l'énergie
          conservée se retourne contre soi et nous dévaste. Comme
          une combustion lente. Comme le monoxyde de carbone,
          invisible, indolore. Ce cri ne peut se libérer qu'en retrait.
          Du monde, des autres. Qu'en rupture de soi, pour mieux
          accompagner la voix au cœur des vagues.

          ibid p.p.100/101

          10
          Être heureux, c'est faire, nous dit le livre de l'Ecclésiaste
          dans l'Ancien Testament. C'est le sens même du verbe grec
          " poiein", d'où dérive le nom poésie: créer, faire. Pas faire
          l'amour, faire un dessin ou son travail, faire un gâteau ou un
          sourire. Mais faire. Tout. Tout ça. Se mettre dans le mou-
          vement des jours, accepter ce qui vient sans en attendre
          plus. Sans l'héritage du temps. sans espérer demain.

          ibid p.102

          12
          Il y a de l'amour, beaucoup, dans Où les ombres s'épousent.
          L'amour d'elle. L'amour de celles et de ceux qui m'ont
          accompagné durant ce long travail de redécouverte de soi,
          jusqu'aux petits matins. Et puis il y a cette source, cette
          source de larmes chaudes qui ne s'arrête jamais malgré les
          embellies. Provoque des chocs thermiques qu'on peut ne
          pas comprendre. Où sont les actes? Où sont les paroles?
          Y-a-t-il un décalage? Et le poème naît. D'un geste un peu
          magique, juste au pied de l'arbre.

          ibid p.103

         15
         Le poème nous précède. Éclaire le chemin. sentier insoup-
         çonné entre nos solitudes. L'ombre est aussi un lieu où
         faire des rencontres. Où parler à voix basse sans peur des
         tremblements. Où s'échanger l'instant qu'on ne souhaite
         à personne. Parce que nous savons, d'un mot, que nous
         sommes ensemble. Et que tout peut reprendre.

         ibid p.104

         Juin 2016

          
 Parce que "l'amour est courage, il est aussi lucidité", "ce livre est avant tout œuvre d'espérance" écrit fort justement Jean-Marie Berthier dans sa postface, un sentiment que je partage pleinement.

 Je souhaite à Stéphane Bataillon d'éprouver de plus en plus souvent, dans sa nouvelle vie familiale, l'apaisement possible qu'il mérite, en s'appuyant sur la force du temps, et la saveur de l'instant.

         Comme une vibration.

         C'est ça.

         Quelque chose
         comme une vibration

         Qui relierait les mondes

         Dont nous serions la source

         Mais submergés.

         in Où nos ombres s'épousent, p.75

Bibliographie:
  • Où  nos ombres s'épousent, Vivre l'absence, éditions Bruno Doucey, 2016
  • Les terres rares, éditions Bruno Doucey, 2013
sur internet:

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