Port des Barques

Port des Barques

vendredi 23 septembre 2016

Paul de Roux pour mieux éprouver le silence des choses




         Je gagnerai les zones d'ombre
         et je ne serai plus qu'un filet de voix
         – non pour rompre le silence des choses
         mais pour mieux l'éprouver
         à cette heure où la lumière parcimonieuse
         écorne le dos d'un livre, où le visage
         ovale du jeune duc de Saint-Simon
         se détache seul – perruque
         volatilisée – sur la carte postale
         posée sous la lampe que je n'aurais pas allumée,
             non,
         si l'attention m'avait subjugué, me faisant
         ombre sur ce carnet.

                                           *

         La nuit vient
         et ce n'est plus du tout la même chose
         de voir ces objets – encore, et noirs à contre-jour
         l'ombre, tombée comme une goutte d'encre sur le buvard
         les investit maintenant de dépendances indéfinies
         et nos frontières ne les offusquent plus
         eux qui vont de la pomme de pin au galet
         si facilement, mon Dieu, si docilement
         qu'il n'est pas vraiment nécessaire de s'en faire
             pour toutes ces barrières
         qui nous ont fait perdre une journée, encore une
         à recenser ce qui se dissout de soi-même avec l'ombre
         et chaque forme bouge et chevauche
         le temps, l'espace, et t'invite, oui
         à t'aplatir dans l'ombre
         à te prendre à cette collecte de couleurs, de formes
         qui s'ébranlent, comme une flotte
         lentement s'écarte du rivage
         et gagne les eaux libres de la mer.

                                                                                24/10/1976

         in Au jour le jour, Carnets 1974-1979, éditions Le Temps qu'il fait, 1986, p.62/63

La voix de Paul de Roux, intimiste entre toutes, s'est définitivement éteinte le 28 août dernier, comme nous l'apprend Poezibao, mais pour nous, poètes, elle a gagné "les eaux libres de la mer.
Demeure ce pincement au cœur et notre plus bel hommage est bien de le relire et de le faire partager.

Du retrait et de l'ombre, dans l'instant suspendu qu'est le poème, Paul de Roux parlait mieux que personne, comme s'il voulait nous familiariser avec la perte et son insondable mystère .

          (...)
         
          Je suis là, je vois ces choses
          et cette vue va passer, cet instant
          – au jour dernier, et pour toujours
          sera-t-il rendu ?
          ou est-il vain ?
          ou est-il feuille
          morte pour quel terreau
          quelle graine, quelle fleur inconnue ?
          et je suis sur ce pont
          sur cette lame de rasoir de la vue
          et je franchis le pont
          l'œil fixé sur l'écume
          à la crête de l'eau qui passe.

                                                                            28/10/ 1976

 À nous de goûter la profondeur d'une voix qui résonne bien au delà de la mort.


bibliographie:
  • Au jour le jour, Carnets 1974-1979, Le Temps qu'il fait, 1986
sur internet:

         

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