Port des Barques

Port des Barques

vendredi 19 août 2016

Nicole Drano-Stamberg La rencontre écrit toujours le premier mot



         Tu entras dans le parc. C'est à peine si nous nous
         vîmes. Ce fut un chuchotement. Il y avait de la lumière.
         Beaucoup. Un rayon traversait le feuillage. Il éclairait
         un banc. Au centre. Le langage ne fut pas celui de tout
         le monde. Tout devint phosphorescent.

         Wohin muss ich sterben
         Mourir            où?
         Dans l'infime espace entre le pinceau de soie
         et un peu de brume blanche      sur votre cœur
         quand la rencontre écrit toujours le premier mot.

         in Ciel! Ciel! Des poèmes hirondelles! L'amant hirondelle,  Rougerie 2006, p.p.72/73

Avec L'amant hirondelle un étrange duo s'installe entre deux personnages, assis sur un banc dans un jardin mythique. Le visiteur a tout de l'ange, l'immatérialité et le langage mais sa présence d'amant hirondelle vient combler à l'évidence un vide cruel. L'échange est d'une suave tendresse des premiers mots aux derniers.

         J'attends une manifestation du ciel sur notre terre.
         Si je suis rentré dans ce parc c'est qu'il n'y avait ni
         porte ni fenêtre. de là je peux voir l'invisible, il m'en-
         toure. l'évènement me prend au dépourvu mais j'ai
         une mélodie, un mouvement de sons, un corps qui
         remue, une voix qui viendra en toi, elle longera la tienne.

                               
         Viens           chuchotons.
         Il est inexcusable de se parler à l'oreille
         sans oser quelques mots      plus vrais     plus réels.
         Les lingeries claquent dans le mistral. Balcon d'amour.
         Le ciel restitue un chant capturé aux nuages.

   
         Je sus que tu avais bougé, ton corps ne projetait
         aucune ombre. si j'avais pu chanter, si j'avais eu de la
         voix, je serai venue te rendre visite avec mon chant au
         plus profond de ton corps.
         quand j'ai voulu m'asseoir j'ai trouvé ton message à
         ma place. Tu ne pouvais plus parler et tu écrivais. Sans
         nous briser aux dures parois de la vie nous resterons
         dans une création évidente. tu riais, tu pleurais. Une
         larme tomba sur la page, elle fit une tache claire. De
         ton doigt tu en fis le tour.
         Apparut le poème.

         ibid p.p.110/111/112

Nicole Drano-Stamberg est née à Lodève d'un père occitan et d'une mère autrichienne. Elle faisait déjà partie avec Georges Drano, son mari, de l'équipe du Festival de Poésie de Lodève, une création bien antérieure à celui de Sète.

Installés désormais à Frontignan, où Georges à repris un vignoble, ils écrivent l'un et l'autre et organisent des lectures publiques de poésie dans le cadre de l'Association Humanisme et Culture dont ils sont co-responsables.
Leur langage en effet n'est pas celui de tout le monde. Humanisme est le mot qui les caractérise l'un comme l'autre. Il sont modestes, conviviaux et engagés. On les retrouve à Sète, après avoir œuvré longtemps en Afrique, au Burkina Faso, dans des activités humanitaires et culturelles, soutenant l'écriture poétique lors de rencontres avec des associations locales ou favorisant, à l'occasion du festival, des échanges entre un poète et un jouteur ou des gens de la mer.
Ils disent bien sûr aussi leurs poèmes au cours de lectures.
Un précédent article, rédigé à propos de Georges Drano et intitulé L'invisible présence, est accessible sur Le Temps bleu.

Ici, l'étrange amant hirondelle parle à l'oreille du poète d'une autre face du ciel :

         Un léger crissement
         au creux de l'oreille
         rappelle l'amant hirondelle.  Quelques mots.
         Ils me content une autre face du ciel.      Parfum de lin
         qui glisse avec les huiles,       le temps de lire.

         ibid p.69

Il console et apaise :

         La première fois j'étais assise dans un champ de
         batailles et c'était le monde.
         Disposés en images dans la mémoire, des corps morts,
         sans que personne ne le sache. J'attendais la vision
         d'un jour nouveau. L'espoir était ce parc où il n'y avait
         pas de ville anéantie. Je me lèverai, je sortirai et je te
         rencontrerai.


         Il est à l'extérieur
         il est en nous-mêmes.
         L'amant peut nous sembler loin.
         sa vérité est dans une
         presque absence.

         ibid p.p.70/71

L'amant n'est pas de chair, sa presque présence est toute d'intuition et d'amour et se pose tel un baume sur une douleur masquée.

Le hasard a voulu que je commence ma lecture par les dernières pages du recueil, les premières décrivent un monde où personne ne rencontre personne et où les hirondelles sont aussi des sans papiers.

         C'est un chemin où
         personne       ne rencontre personne.
         Francis Bacon et Vincent Van Gogh
         soudain ont un toucher
         sur ma main.       ils tendent un pinceau.
         offrir un mot                   pour eux
         dans une torche                    en feu.
         Sans papiers                 deux hirondelles.

         ibid Hirondelles sans papiers, p.36

Tout est suggéré mais laisse pressentir l'inattendu d'une rencontre :

         Parfois nous voyons quelqu'un
         il touche à peine terre.
         puis il squatte sous l'auvent de la fenêtre.

        
         Alors je distingue quelque chose
         qui détache les étoiles
         une à une et qui appelle en vain :
         "c'est quelqu'un ou quelqu'autre?"

        
         Si le ventre vide
         trouble le rêve ou la preuve
         de notre existence sans papiers
         alors je bègue le mot pour accueillir ce quelqu'un
         ce quelq'autre au sourire fou.

         ibid p.37

Une question lancinante court entre les lignes, portée par les sempiternels mots: sans papiers.

         Pourrai-je en mourant
         oublier le désir ardent
         de l'amour.



         Garder dans la pupille
         la mémoire du papier qui ne se pose pas
         avec l'empreinte appuyée de lèvres qui aiment

         ibid Hirondelles sans papiers, p.49


"La poésie est une tentative de faire révéler aux mots assemblés sur la page ce qu'ils ont de plus humain, de plus secret. La poésie ouvre la parole pour éloigner la barbarie, l'injustice" écrivait Nicole Drano-Stamberg dans l'avant-propos de son livre, L'Employée de la poésie,  paru en février 2015, chez Le Petit Véhicule.

Elle ajoutait: "en enlevant la peau des mots le( la) poète cherche à atteindre les énergies, le merveilleux de la créature humaine". Chacun y parvient plus ou moins et à sa manière, multipliant ainsi les approches et les regards.

Nicole Drano-Stamberg lisait lors du récent Festival de Sète des extraits de son livre Délicatesse et gravité, paru chez Rougerie en 2012. J'ai noté cette phrase: "seul l'amour fait renoncer à l'immobilité de l'âme".

Dans la vie comme en poésie la rencontre écrit toujours le premier mot, celui qui donnera sa couleur à nos attentes et nos choix.


bibliographie: 
  •  Ciel! Ciel! Des poèmes hirondelles, Rougerie 2006
  • Délicatesse et gravité, Rougerie 2012
  • L'employée de la poésie, Le Petit Véhicule 2015
  • S'il n'y avait plus d'herbe, La Rumeur libre 2015
sur internet :

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