Port des Barques

Port des Barques

vendredi 12 août 2016

Le Festival de Poésie à Sète comme si vous y étiez


Le Festival de Poésie Voix vives de méditerranée en méditerrané s'ouvrait, à Sète, le 22 juillet dernier au soir, dans le parc Simone Weil situé dans le haut de la ville. Tous les poètes présents étaient invités à dire chacun un poème dans sa langue, poème repris ensuite en français.

Le lendemain, à 10h du matin débutaient les lectures, qui se succéderaient toute la semaine, d'heure en heure jusqu'à minuit, et conjointement sur toutes les scènes dressées dans la ville.

De16 h à 17h, une lecture, placée sous le vocable Voix croisées, était prévue dans les hauteurs de la ville, dans la cour du Lycée Paul Valéry, qui s'ouvrait aux festivités pour la première fois. J'y assistais et en fais le compte rendu.

Le temps est à l'orage. Deux poètes, Paulo José Miranda et Claudio Pozzani, la violoniste Mélanie Arnal, une comédienne et un présentateur font face au public installé sur des chaises.

Paulo José Miranda, poète, romancier et dramaturge lit en portugais un premier texte, aussitôt repris en français par la comédienne, Isabelle Peuchlestrade.

L'auteur est publié en français pour la première fois par les éditions Al Manar à l'occasion du festival. Il est né en 1965 au Portugal et vit au Brésil depuis 2005, à Fazenda Rio Grande, dans la région métropolitaine de Curitiba.
         

         autoportrait 1

         combien de beauté faudra-t-il décrire
         pour qu'un cœur s'agenouille devant l'existence d'un autre

         combien de verdure verrons-nous dans les champs
         bien avant
         les carillons des cloches dans les villages dans ta bouche

         combien d'enfants le matin sur le chemin de l'école
         pour si peu de mains qui plantent
         un quelconque dessein
         une quelconque graine de dieu

         et tant de dieu
         pour si peu d'humain
         ravivant la flamme à tous les gestes tendres
         aux forêts blanches des grammaires

         Il y en aura encore
         il y en aura peu
         qui dans les décombres d'un livre trouveront
         leur visage dans les mains d'un autre

         in Autoportraits, traduits du portugais par Sofia Queiros, aux éditions Al Manar, 2016, p.7


   Claudio Pozzani lit à son tour des textes de son recueil, Cette page déchirée, paru chez Al Manar en 2012.
Né à Gênes en 1961, poète, romancier et artiste, il est l'organisateur du Festival International de Poésie de Gênes et participe, en tant que présentateur et acteur, à celui de Sète depuis sa création. 

         À ma mère

         Je t'ai vue en face dans cette salle
         moi souillé de sang et de mucus
         toi, bouleversée et curieuse
         J'ai essayé de te dire
         que je n'étais pas sûr de vouloir rester en dehors de toi
         mais les mots que j'avais dans ma tête
         dans ma bouche se pétrissaient mal
         Je venais juste d'apprendre
         que toute la vie aurait été hypocrisie et paradoxe :
         Je t'avais fait souffrir
         je t'avais fait saigner
         et pourtant c'était moi qui pleurais
         et toi qui souriais
         Je t'ai vue en face dans cette salle
         tandis qu'ils m'emportaient
         Il y avait trop de confusion pour te dire combien j'étais heureux
         de donner enfin un visage
         au ventre qui m'avait accueilli
         Et plus tard avec mes collègues
         on discutait de réincarnation
         d'éternel retour, des cours et recours de Vico
         mais j'avais hâte de te revoir
         et de connaître ton homme et votre fils
         dont je sentais la voix ouatée et lointaine
         Je t'ai vue en face dans cette salle
         et je donnerais tout ce que j'ai
         pour m'en souvenir.

         in Cette page déchirée, traduit de l'italien par Viviane Campi, Charles Petit, Marc Porcu,   Monique Baccelli, éditions Al Manar, 2012, p.11

Entre chaque poème, la voix du violon s'élève ardente sous le vent d'orage. Le ciel est zébré d'éclairs et soudain l'averse éclate.

          autoportrait 11

          le ciel se déchire
          il laisse passer l'eau vers le monde

          une odeur de peur couvre le versant de la colline
          de bruits d'animaux angoissés
          et de la tristesse chérie des hommes
          au souvenir d'un jour de chasse

          le coup final au bois est asséné
          et des pas se pressent dans la boue

          celui qui ouvre la porte de la maison
          laisse entrer
          l'image du ciel
          qui l'a ramolli toute la journée
          il ramène à table les mains
          qu'il avait dissimulées dans la terre
          des mains devenues racines

          des mains qui ne se reposent pas
          qui tiennent le visage
          sous l'eau des cieux

          ibid Autoportraits p.17

Les poèmes s'accordent aux rigueurs du ciel, dont le public et les artistes s'accommodent vaillamment. La voix du violon se fait déchirante sous l'averse. C'est là toute la magie du festival.

Claudio Pozzani clame d'une voix tonitruante son poème du renégat, Sono, ou Je suis

           Je suis

           Je suis l'apôtre exclu de la Dernière Cène
           Je suis le garibaldien arrivé trop tard au rocher de Quarto
           Je suis le Messie d'une religion en laquelle personne ne croit
                  Je suis l'exclu, l'outsider, le maudit qui ne cède pas

           Je suis le héros qui meurt à la dernière page
           Je suis le chat borgne qu'aucune vieille ne veut caresser
           Je suis la bête enragée qui mord la main tendue par pitié
                  Je suis l'exclu, l'outsider, le maudit sans âge

           Je suis la vague déferlante qui emporte les serviettes et les transistors
           Je suis le malentendu qui sème la discorde
           Je suis le diable qui a esquivé l'encrier de Luther
           Je suis le film qui se déchire au mauvais moment
                    Je suis l'exclu, l'outsider, un clou dans le cerveau

          Je suis la balle du flipper qui tombe un point avant le record
          Je suis le but contre son camp à la dernière seconde
          Je suis l'enfant qui ricane aux claques de sa mère
          Je suis la peur de l'herbe qui va être fauchée
                   Je suis l'exclu, l'outsider, cette page déchirée.

          in Cette page déchirée p.7

Soudain l'orage tourne bride et s'en va arroser d'autres villes. Paulo José Miranda reprend :

          autoportrait 60

          ensuite nous avons le reste de la vie

          et cela ne suffit pas

          pour découvrir que dans le sein maternel
          il y avait déjà une grammaire

          ibid Autoportraits, p.57

L'heure s'achève, poètes et auditeurs se dispersent, pour rejoindre au plus vite une des multiples lectures, qui s'offrent à chaque coin de rue, sur le parvis d'une église, une placette ou dans un jardin privé. Chacune d'elles est une rencontre privilégiée.

Dans le jardin intérieur de la rue du Génie, de 17h à 18h, Vénus Koury-Ghata, poéte et romancière libanaise, mariée à un Français et installée en France depuis 1972 est présente et couronnée des plus grands Prix. Elle est interrogée aujourd'hui par Gérard Meudal, journaliste et traducteur, à propos de son dernier livre, Les mots étaient des loups.

         Être berger nécessite une parenté de sang avec un loup
         des liens avec un brin d'orge ou de luzerne
         on échange un fromage contre un bâton
         un ballot de laine contre un calendrier
         une brebis pleine contre une fille vierge
         on apprend l'ignorance aux plantes savantes
         l'addition au chien
         et au feu de ne pas ronfler en présence des visiteurs

         in Les mots étaient des loups, Inhumations, Poèmes choisis, Poésie/ Gallimard 2016, p.74

Entre les gouttes qui tombent des arbresinstallée sous un grand parasol, Vénus Koury-Ghata évoque son enfance et sa vie si particulière dans un village du nord du Liban, "entre les orties qui montent à l'assaut des fenêtres et les morts qui ne sont pas morts mais se cachent derrière les façades".

"Je puise en moi-même quand j'écris, dit-elle, et c'est devenu une force salvatrice. Quand un sujet ne veut pas me lâcher, je commence à le dire en poésie puis je le dis ensuite dans les moindres détails dans un roman. Beaucoup de mes romans vont avec un poème. La langue poétique est plus rapide que la langue littéraire. Aux enfants que je rencontre, je dis: écrire un roman c'est escalader la pente d'une montagne et planter le drapeau. Écrire de la poésie c'est dégringoler la montagne jusqu'en bas dans une grande poussière sans rien comprendre."

Gérard Meudal n'a même plus besoin d'animer le débat, Vénus se raconte et le public vibre au toucher de sa voix. Un instant unique d'une émouvante intensité.

Reste la possibilité d'acheter le recueil et de le lire. Pour ce, il suffit de descendre sur la Place du Pouffre, où se dressent les tentes blanches des éditeurs, et où se tiennent également d'heure en heure des rencontres avec auteurs et éditeurs.
Je vous conseille vivement d'ouvrir les liens enregistrés plus bas pour en savoir davantage sur ces poètes.

Les dernières lectures en musique s'achèveront vers une heure du matin.
Il faut une santé de fer aux organisateurs, aux accompagnateurs et poètes pour tenir le rythme toute une semaine mais, comme chacun sait, la poésie est une drogue douce, qui a ses adeptes... Le matin suivant, toute l'équipe recommence dès 10h ...

Bibliographie:
  • Autoportraits de Paulo José Miranda, éditions Al Manar 2016
  • Cette page déchirée de Claudio Pozzani, éditions Al Manar 2012
  • Les mots étaient des loups de Vénus Khoury-Ghata, Poésie-Gallimard 2016
sur internet:

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