Port des Barques

Port des Barques

samedi 2 mai 2015

Christian Bobin dans "une même communauté silencieuse"

Le dernier livre de Christian Bobin, paru, en février 2015 chez Gallimard dans la collection folio, se nomme L'Épuisement. Étrange titre, dont il s'explique dès les premières lignes:
     
        Quelque chose a eu lieu.
        Quelque chose a eu lieu dont j'ignore tout.

Quelque chose qu'il compare à un orage, l'avènement d'une présence: toute vraie présence est épuisante.(...)Aucune vraie rencontre ne peut se faire sans aussitôt nous défaire. Aucune rencontre hors de l'amour, aucun amour qui ne commence par nous tuer.(...)
Je ne fais pas de livre. Je bâtis une maison sans plan pour y recevoir la vie que j'aime de plus en plus.
Les dernières lignes du livre nous révèleront le nom de celle par qui c'est arrivé.

Dans l'entre-deux, Christian Bobin parle de la poésie, de la démarche de l'écrivain – très proche de celle du poète –  et de la lecture.

        La poésie n'est pas essentiellement et n'est même pas d'abord du langage. C'est une flèche
        recueillie sur sa cible. Que cette flèche soit tendue sur la corde d'une voix ou bien qu'elle
        s'élance de l'intérieur muet des choses n'a pas d'importance. La cible est toujours la même:
        cette présence soudain incontestable d'une autre vie dans notre vie, une présence si nette
        qu'elle ressuscite la joie en nous dormante.
    
        in L'épuisement éditions Gallimard 2015, p.45

Ce qui suit, exprime encore magnifiquement ce que peut être la poésie et le projet du poète:
 
        Les mots qu'il écrit ne sont là que pour donner le temps à d'autres mots de se faire entendre.
        Il y a toujours deux livres dans un vrai livre. Le premier seulement est écrit. C'est le second qui
        qui est lu, c'est dans le livre du dessous que le lecteur reconnaît ce qui, de l'auteur et de lui, 
        témoigne de l'appartenance à une même communauté silencieuse.
 
        in L'épuisement, éditions Gallimard, 2015, p.55
 
Quant à sa description de la lecture, elle se rapproche étrangement d'une relation amoureuse:
 
         Lire c'est faire l'épreuve de soi dans la parole d'un autre, faire venir de l'encre par voie de sang
         jusqu'au fond de l'âme et que cette âme en soit imprégnée, manger ce qu'on lit, le transformer en
         soi et se transformer en lui. Toute lecture qui ne bouleverse pas la vie n'est rien, n'a pas lieu,
         n'est pas même du temps perdu, est moins que rien. Toute vie qui n'est pas bouleversée par la
         vie et qui ne va pas, seule, sans le réconfort d'aucune leçon, trouver son bien dans ce bouleverse
         ment est morte. Ce qui est le bien d'une personne c'est à la personne seule d'en décider, en ne
         s'appuyant que sur la lumière suffisante de sa propre solitude, au plus loin des convenances de
         pensée ou de morale. L'intelligence cela ne s'apprend pas – cela s'exerce.
 
         ibid p.p.71/72

         Garder sa vie dans le sentiment neuf de la vie, c'est une des choses les plus difficiles qui soient,
         les plus souvent escamotées. Cela vient sans doute du fait que cette nouveauté de chaque jour
         ne peut être reçue que dans la proximité de sa mort à soi, rien qu'à soi. Je pense chaque jour à
         la mort voisine. Ce n'est pas une pensée du futur, c'est une pensée du présent. C'est la pensée
         la moins morbide qui soit. Cette proximité de vivre avec l'ombre portée de mourir, je peux la
         résumer en un mot, en une attitude de fond: rire. La vie me bouleverse comme un papier de
         soie si fin qu'un regard trop pesant suffirait à le déchirer. La vie me comble d'être aussi parfaite
         ment menacée. Le déchirement me donne joie et rire.

         ibid p.82

         Tous les poètes ont ce savoir du périssable merveilleux, tous reçoivent l'onction de cette
         lumière: ce qui est là est d'autant plus éternellement là que cela passera et passe déjà.

         ibid p.83

Soyons les vigiles et les messagers de ce savoir périssable.



 
 
 

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