mais des quatrains comme les miens
arrivent à quatre pattes
comme l'agneau, l'âne, ou l'enfant
in Le Poète Jan Skácel, par Reiner Kunze, aux éditions Calligrammes 2014, p.64
Les éditions Calligrammes, par l'intermédiaire du poète allemand, Reiner Kunze et des traducteurs Gwen Darras et Alena Meas, viennent de permettre aux lecteurs français d'accéder à la poésie de Jan Skácel, poète tchèque, né en Moravie du Sud en 1922 et décédé le 7 novembre 1989, peu avant la chute du mur de Berlin.
Le livre nous donne à lire deux des conférences données par Reiner Kunze à propos de Yan Skácel, en 1995 et 1996, avec de nombreux extraits de son œuvre.
Ils ont de nombreuses affinités, et leurs vie furent similaires, tous deux ayant connu dans leurs pays respectifs, l'Allemagne de l'est et la Tchécoslovaquie, l'interdiction de publication et ses lourdes conséquences.
Le poème qui suit Ligne de nuit, est tiré d'un recueil écrit après la répression du bref Printemps de Prague.
Pris par la bouche à la ligne de nuit comme un poisson
j'attends jusqu'au matin l'arrivée des pêcheurs
qui cherchent dans l'herbe les cordes entassées
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
Et l'eau coule, et coulent la nuit et les étoiles
les rives éclaboussées s'écroulent au printemps
la terre s'effondre en de sombres méandres
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
Dans la fraicheur les petits ventres des pierres promettent
l'arrivée du jour et l'aube se perd au bord des bois
les chevreuils s'enfuient
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
Douloureusement pris par la bouche comme un poisson
j'attends jusqu'au matin les bons pêcheurs
qui vont chercher sur la rive des signes
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
ibid p.59
Le poème qui suit Ligne de nuit, est tiré d'un recueil écrit après la répression du bref Printemps de Prague.
Pris par la bouche à la ligne de nuit comme un poisson
j'attends jusqu'au matin l'arrivée des pêcheurs
qui cherchent dans l'herbe les cordes entassées
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
Et l'eau coule, et coulent la nuit et les étoiles
les rives éclaboussées s'écroulent au printemps
la terre s'effondre en de sombres méandres
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
Dans la fraicheur les petits ventres des pierres promettent
l'arrivée du jour et l'aube se perd au bord des bois
les chevreuils s'enfuient
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
Douloureusement pris par la bouche comme un poisson
j'attends jusqu'au matin les bons pêcheurs
qui vont chercher sur la rive des signes
Longue cette nuit, de toutes la plus longue
ibid p.59
Les quatrains, ici, présentés ont été écrits par Jan Skácel, tandis qu'il était condamné au silence durant douze années. Il proviennent de deux séries de cents poèmes, de quatre vers chacun, rédigés sans réel espoir d'être publiés. Deux recueils, contenant une centaine de quatrains, paraîtront cependant sous forme de tapuscrit entre 1975 et 1976.
L'éditeur,Yvan Guillemot, écrit dans la préface du livre:
Par dessus tout, ce qui peut rendre ses poèmes inestimables pour un lecteur du XXI° siècle, c'est
leur inattaquable intégrité, comme si la grande Histoire avait atteint les couches intermédiaires mais non les couches profondes, là où le poète rencontre les absents et le monde au delà des apparences.
la toute dernière porte
si on regarde au-delà
une larme d'enfant revient
qui roule sous la paupière
En lisant les poèmes de Jan Skácel, une plénitude grave s'instaure comme un apaisement ou un réconfort mais toujours "à travers une petite douleur". Que sa voix nous soit parvenue grâce à l'amitié de Reiner Kunze est un don immense.
Oppressé, au bord des larmes
Et soudain, je ne sais rien
Voici donc quelques uns de ces quatrains:
les crapauds de leur cri rauque chantent
(le matin restait impassible)
la voix pleine de rosée ils prient
pour ceux qui dans leur cœur sont pieds nus
//
les gens se marient pour le silence
que l'on entend seulement à deux autrement non
autrement il les accable, autrement l'homme
s'effondre dans le silence
//
ce n'est pas rien se laisser couvrir d'une pluie de pierres
sans avoir l'âme blessée
et toute la vie il pleut du granit
une pluie qui nous trempe jusqu'à l'os
//
si tu ne veux pas te pétrifier
sois une pierre dans ton cœur
ils auront pitié de toi
on ne jette pas la pierre à une pierre
//
laissons leur la honte
la sueur sur le visage qui salit l'âme
nous attendrons à coté du violon
sans être invité ni reconnu
//
on n'invente pas de poèmes
il y a des poèmes sans nous quelque part
quelque part derrière ils sont de toute éternité
le poète trouve le poème
ibid p.p.62, 63, 64, 65
Qu'une vie commencée sous le régime du troisième Reich tombe ensuite sous la menace policière d'un parti unique, qu'une existence faite de misère, vexations et persécutions engendre une écriture si pleine de douceur, fierté et dépassement semble un cadeau inestimable.
Homme interdit
Je suis inaudible tel la lumière encore
Je médite sur le silence
jusqu'à tordre le cou à la peur
Celle de l'autre et la mienne intime
Ainsi, on dirait que je suis
comme les aveugles qui se retournent
En secret nous glissons dans les ténèbres par le chas de l'aiguille
ibid p.60
Imprégnons-nous de l'âme de chacun de ces poèmes, transmettons-les autour de nous afin qu'ils rayonnent et circulent "au milieu de la foule", selon le propre désir de leur auteur:
" Je n'ai jamais écrit un vers dans mon appartement, j'ai besoin de marcher, de la pluie..., la
poussière des routes en terre, le balancement des feuilles dans les arbres, j'en ai besoin, ainsi
que de rencontrer des gens inconnus pour les évaluer et de passer parmi eux, d'entendre
quelques mots, d'autres mots à dire à haute voix, se débarrasser de la sagesse et de la
perception rationnelle pendant un certain temps, me trouver seul au milieu de la foule."
ibid p.11
ibid p.11
À signaler un bel article de Jacques Josse, à propos de cette parution :" le poète Jan Skácel", sur remue.net, et relayé également par le scoop-it de Poezibao.
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