Port des Barques

Port des Barques

vendredi 5 mars 2021

Robert Sabatier, "une joie pure où plonger son feu"

         À corps perdu 

   Cet enfant nu qui murmurait bruyère 
   Pour protéger son regard de la nuit 
   Et celui-là que l'on disait sans père 
   Quand il avait les arbres pour amis 
   Se sont trouvés le temps d'une prière. 

   Était-ce moi  qui vivais dans ces roses 
   Que tu cueillais bel enfant que j'étais 
   Et délivré par les métamorphoses 
   Devenais source, écureuil ou furet 
   Pour me mêler aux lueurs de l'aurore.

   Il suffisait d'un doigt sur une route 
   D'un mot jeté parmi quelque forêt 
   Pour que s'échappe un oiseau de la source 
   Le faon, la biche et le vent préparaient 
   Des chants plus purs à hauteur de la bouche. 

   Il coule un siècle, un autre entre mes doigts 
   Pour séparer mon corps de ses enfances 
   Mais reparaît dans chaque eau que je bois 
   Ce clair visage et le reflet d'un ange 
   Blessé de ciel qui vient mourir en moi.

   in Les Fêtes solaires, Robert Sabatier par Alain Bosquet, Poètes d'Aujourd'hui,
   Seghers, 1978, p.p.66/67 

    Mémoires 

    J'étais l'enfant, je n'avais pas de livre 
    et je captais le monde en mon miroir. 
    J'étais l'oiseau, mais je n'étais pas libre, 
    j'étais le vent, nul ne pouvait me voir. 
    Ah, je chantais la gloire d'un royaume 
    où toute peur mourait dans le soleil. 
    Je suis de nuit et quand j'ouvre les paumes, 
    c'est pour y voir un monstre à son éveil. 

                               *
    Je parle au nom de tous les morts de terre 
    et je dis ciel aux  destructeurs de blés. 
    Je dis soleil et le soleil me baigne 
    de plus d'amour qu'il n'en fut dans l'été. 
    Je parle au nom des hommes, des abîmes, 
    de tout oiseau s'échappant de mes mains. 
    Je reste seul dans la ville où demain 
    l'homme sur l'homme ira jeter ses crimes. 

    Mémoires, extrait de Dédicace du navire, p.81

Robert Sabatier raconte que l'idée d'écrire L'histoire de la Poésie Française, en neufs volumes, il la doit au fait, qu'entré un jour dans une librairie et ayant demandé une Histoire de la poésie française, on lui répondit, avec forte condescendance: "Dis à ton patron que ça n'existe pas"!
Profitons donc pleinement de l'œuvre du poète !

    La joie pure 

    Lorsque ma vie au continent futur 
    Abordera – ma longue et douce vie, 
    J'aurai des rats dans ma cale, des rêves 
    Devenus vie au fond du bâtiment. 
    Simple est le vent sur la mer, et simple 
    Est mon regard offert à l'avenir 
    Car j'ai la foi de ces êtres qui doutent 
    Et poésie est ma verte espérance. 

    Des mots sacrés survolent mon silence 
    Toute ma vie est un cri retenu. 
    Pourquoi mourir? – le temps de la mort même 
    Est la racine où je porte les dents. 
    Or moi, de terre et tout de nuit vêtu, 
    Je peux survivre aux îles, aux naufrages. 

    Je tends au ciel mes bras comme des rames 
    Mon bateau glisse et les terres s'entrouvrent 
    Comme des cœurs où je plonge mon feu. 

    Les goélands se poseront sur moi, 
    Un continent naîtra de ma parole. 
    Simple est mon nom – je suis une caverne, 
    Une main d'homme où l'homme peut dormir. 

    ibid Les poisons délectables p.p.94.95 

Dans sa préface au recueil de Robert Sabatier, Alain Bosquet  écrivait :
" La poésie est un arbre, on ne l'habite pas, mais on se laisse habiter par lui." 
Tentons l'expérience, laissons-nous, vous et moi, habiter par la voix du poète : 
    
     Le Moule 

     En ce temps-là, l'univers se coulait 
     Dans tout mon corps devenu cire tendre.
     J'étais vallons, montagnes, champs, rivières, 
     Et je savais, dans l'ordre des planètes, 
     Que je pouvais revivre, étoile bleue. 

     Nature es-tu si loin de ma nature?
     Les transcendants vont dans le jour, déjouant 
     À coups de mots les destins du cosmos. 
     Un dieu sourit parmi les éphémères 
     De n'être plus que le dernier mortel. 

     De l'arbre à moi s'étendent des espaces 
     Toujours plus grands. O landes déchirées, 
     Mes longs bras nus sont les ultimes branches 
     D'un don total qu'abandonne l'oiseau 
     Et je m'en vais dans la ville sans ailes.

     ibid Icare et autres poèmes, p.132


Ne manquez pas le bel article  de Jacques Décréau à propos de l'auteur, qui figure sur le site La Pierre et le sel sous ce lien:
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/06/robert-sabatier-la-passion-de-la-po%C3%A9sie.html

Bibliographie:

Robert Sabatier, par Alain Bosquet, Poètes d'Aujourd'hui, Seghers, 1978.

sur internet:

Un bel article de Jacques Décréau , paru sur La Pierre et le sel :
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/06/robert-sabatier-la-passion-de-la-po%C3%A9sie.html




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire