Port des Barques

Port des Barques

vendredi 12 juin 2020

Jacques Ancet, laisse tomber ce que tu portes



        Une brume pâle remplace les choses. Une attente étroite, une peur.
        La voix qui parle n'a jamais cessé de parler.

        in L'âge du fragment, Une attente étroite, chronique, dessins de Jean Murat, 2016.

En deux lignes, le décor est dressé, semblable à l'un ou l'autre de ces moments si incertains, que nous
venons de traverser mais que la voix d'un poète n'a cessé d'accompagner.
Jacques Ancet, que j'ai pu approcher lors du Festival voix vives de méditerranée en méditerranée, à Sète, en 2016, reste l'un de mes préférés et celui qui me nourrit en toute occasion.

       " Il y a cette voix, qui ne se tait pas mais est silence. Le langage et le corps habitent ce poème,"
et dès lors, il nous revient d'être simplement à l'écoute.

      " Ensuite ne reste qu'un petit bruit, des fils tissés dans la lumière grise, une attente muette. Le pied touche le pied. De la bouche ne sortent que des mots sans suite : robinets d'or, pornographie…

Les doigts sont froids. Le jour cherche le jour."

        " Dans l'image on n'entre pas. Elle reste en face, comme posée devant les yeux qui lui donnent
limites et profondeur. La beauté est cette distance infranchissable tissée de lumière et de vols qu'on
croient toujours pouvoir franchir. La main se tend, la bouche s'ouvre. Les doigts et les mots se con-
fondent. On n'y voit plus. On touche le murmure."

        " Et maintenant ? Près du pied un petit rectangle lumineux. Je me raccroche à ce que je peux, dit-il. Aux images, aux titres, aux feuilles, à l'herbe. À rien de précis. Au souffle d'air qui passe. je regarde le Jour il me regarde. Qu'y a-t-il entre nous?"

Et si nous tentions à notre tour l'expérience?  Relire sa propre vie ne s'apprend pas dans les livres même si tout nous y invite actuellement :

        "En attendant, lève-toi.Ouvre les mains. Laisse tomber ce que tu portes. Ne garde que ta vie. Une brassée d'air. Et rien."

        "Ton visage me revient dans l'obscur. Il ressemble à la lumière où brûlent tulipes et azalées.
Il fait la douceur et la soif. Il ouvre des espaces sans limites. Je suis perdu, mais j'aime cette perte :
c'est là que je te trouve."

        "Ce que je vais dire m'attend. Mes mots me cherchent sans me trouver Une voix les murmure.
J'écoute, je cherche à la comprendre. Mais plus j'écoute moins j'entends. De grands arbres portent
le jour. J'avance entre leurs branches, leurs fleurs. Ne regarde pas, dit la voix, entre.

        " La douleur ressemble à la douceur. Elles ont la même tombée de clarté et de nuit. On pourrait
presque les confondre tant elles habitent le visage, font luire les pommettes, creusent un peu plus les joues, laissent sur les lèvres un mot qu'elles ne prononcent pas. Elles ont une sorte d'abandon où les
mains suivent le cours des choses et tremblent."

        " C'est là toujours. Ce qui me tient ne me lâche pas. Me laisse désemparé dans le jour bas. Avec
le bruissement du sang et, parfois, un cri comme venu de nulle part.

in Une attente étroite, L'âge du fragment, chronique, avec des reproductions de peinture de Jean Murat, 2016.

Ne manquez pas de lire ou relire également les articles indiqués ci-dessous parus précédemment sur Le Temps bleu et la Pierre et le sel.

Bibliographie:

  • Jacques Ancet, L'âge du fragment, chronique, avec 4 reproductions de peintures de Jean Murat, aux éditions AEncrages &Co, 2016.
sur internet:

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