Port des Barques

Port des Barques

vendredi 22 juin 2018

Silvia Baron Supervielle II, un autre verbe de chair et de sang



                                     VII

                Dans un autre loin peut-être
                le temps s'achèvera à force de céder
                ses jours ses nuits de refaire
                les chiffres de son discours immuable
                de s'inscrire en sens contraire
                de reculer jusqu'à des parages
                inchangeables sans destin
                que lentement l'absence
                réduit en poussière

                je vais et je reviens à l'encontre d'une lumière
                qui me remet dans l'ombre

                (extrait)

                in Un autre Loin, Gallimard, p.28, 2018

       Dans ce tout dernier recueil, Un autre loin, paru en février 2018 chez Gallimard,
Silvia Baron Supervielle semble s'interroger à maintes reprises sur ce que lui réserve l'avenir.
Des préoccupations inhabituelles semblent l'assaillir dès le premier texte. Ainsi, au fil de ma lecture,
ai-je été alertée par diverses allusions à une cécité possible telles que celles-ci :
je cherche à dire la plaine de mon regard muet/ je perds la vue à l'intérieur des yeux, j'essaie de voir les arbres/ pour qu'un éclair s'inscrive dans la pierre/ enfonce mon pas dans une racine/ fixe ma vue comme une amarre/ tout glisse à l'intérieur de l'ombre/ je ne peux plus imaginer la plaine/ mon regard est désert/ où voir ce que je ne vois pas, où accueillir une lumière étrangère, l'eau sombre me ramène au courant sans fond de l'obscurité, je marche contre l'été, contre la mer qui n'arrête pas de tirer vers le large mes yeux usés de ne pas voir .
Quoi qu'il en soit, l'auteur demeure pour ses lecteurs cette vigie protectrice, veillant debout à sa fenêtre en l'île Saint Louis.


                                     II


                Sans savoir où entrer où sortir
                où respirer où mourir
                faut-il choisir les moments du passé
                ou le présent immuable
                qui se succède

                faut-il se déprendre de la mer
                qui me sépare de l'origine
                et avancer à tâtons au ras de l'air
                en quête d'un soleil virginal
                dans l'ascenseur de la nuit
                qui appareille

                faut-il un autre vide pour vivre
                le sentiment d'un rivage
                qui se prolonge dans la brume
                parmi des figures masquées
                où s'occulte la possibilité
                de l'amour
      
                in Un autre loin, Un autre vide, Gallimard, 2018, p.82

Entre un autre vide et un autre loin, il semble que l'auteur ait choisi un autre verbe de chair et de sang, assez proche du lamento :

               parfois quelqu'un comme un cheval
               hagard heurte la table
               parfois c'est moi qui brise les verrières
               et tombe sur l'air blessé

               ibid Un autre loin, p.14

La douleur autant que la pudeur affleurent du début à la fin au travers des mots quand, dans la solitude affaiblie s'infiltre la nuit, mais la noblesse demeure entière : ici nul visage ne me rendra la vue.


                                     I

                Un autre verbe de chair et de sang

                sans utiliser ses figures
                ni incarner ses accents
                ni faire surgir son langage
                masqué

        
                un verbe engendré par les mouvements
                de la mémoire et de l'oubli
                      

                sans savoir où aller où revenir
                où regagner le pays d'autrefois
                que je ne discerne plus
                mais qui demeure englouti
                dans ma gorge à la façon
                d'un sanglot

                où voir ce que je ne vois pas

                depuis une escale qui regarde
                les bateaux appareiller

                la fumée fait des cercles sur le port
                jusqu'à ce que le gris sans destin
                se défasse de sa marche

                où accueillir une lumière étrangère

                j'attends un mandat général
                afin qu'il change mes yeux
                prêts à partir

                 je tente une voix improbable
                 qui assemblerait l'espace et le silence

                 il faudrait que la musique
                 de la distance suspende son circuit

                 j'entends des cloches errantes
                 tinter hors des heures et des sons
                 s'appeler et se répondre

                 grâce aux échos muets qui hantent
                 les voies cosmiques

                 je suis les échos d'une parole
                 collective indéchiffrable
                 qui emploie la langue de la distance
                 d'un rivage à un autre
                 lancée par les feux d'un phare
                 au centre de la mer

                 in Un autre loin, Un autre verbe, Gallimard 2018, p.p.93/94/95

Pour l'auteur, la fenêtre a toujours tenu une place essentielle, elle effleure la blancheur des papiers, atteste du souvenir d'un pays lointain d'où a surgi un verbe engendré par les mouvements de la mémoire et de l'oubli.


                 près de moi une fenêtre inhabitée
                 surveille jour et nuit devant
                 et derrière elle en espérant
                 que quelqu'un viendra l'ouvrir
                 qu'un typhon l'arrachera de ses gonds
                 pour ne pas reproduire en permanence
                 les objets recommencés
                 et usés par le temps

                 ibid Un autre vide p.83

Silvia Baron Supervielle est cette femme, qui a choisi l'exil volontaire pour tenter d'oublier un temps la toute puissance de la mort, la même qu'elle pressent proche, aujourd'hui. Son tout dernier livre s'achève en effet par ces mots :

                 au loin un autre loin m'attend debout sur mon passage
                 l'aube se lève entière de l'herbe de la plaine

                 et je reprends les marches et le jour
                 recommence ses heures ses nuits

                 est-ce un trajet ce ciel

                 est-ce un envol vers le Sud
                 l'amour ouvert

                 ibid Un autre Verbe p.111


Bibliographie:

  • Sylvie Baron Supervielle Un autre loin, Gallimard, 2008.
sur internet:



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire