Paysage soulevé d'arbres comme la respiration
profonde d'un violoncelle déployée entre les
branches jusqu'au ciel. Inspirations, exhalaisons.
On suit les chemins creux, défendus par les ronces et les
orties, bien à l'abri. De part et d'autre, le regard glisse
sur la peau verte des prés, et tout ce vert bu par les
yeux fait une fraîcheur qui coule dans la gorge
comme un rire. Provision pour les jours de carton,
leur bouillie épaisse dans la bouche.
Chemins
in Ce qui reste, Le présent des bêtes, Albertine Benedetto, Poésie éditions Al Manar, 2016, p.39
En ce début d'année nouvelle, emboitons le pas au poète et engrangeons de belles images en guise de provisions pour les jours de carton, qu'elle évoque.
Tous les jours je m'enfante et me tends vers la lumière. Je découds les poches
de mes yeux, je laisse ma bouche fleurir. Mes premiers pas toujours sont maladroits,
à retrouver la terre. J'ouvre mes doigts comme la première fois, riant un peu du
chatouillis de l'air, surprise aussi de ne rien retenir. Sinon ces petites choses,
celles du fond du sac, pliées froissées oubliées, celles qui reviennent par la porte
de derrière. Tous les jours j'apprends à vivre au milieu des hommes, plus souvent à côté.
Un pas de travers et me voilà entre les bras d'un réverbère – pardon, monsieur.
Quand il sourit, je le reconnais.
Ordinaire
ibid Ce qui reste, Le Présent des bêtes, Poésie Al Manar 2016, p.31
En juillet 2019, lors du Festival de la Poésie de Sète, deux recueils d'Albertine Benedetto figuraient sur le présentoir des éditions Al Manar. Les feuilletant, j'en ai d'emblée aimé le ton.
Je ne savais rien de l'auteur, sinon que son recueil, Le présent des bêtes, lui avait valu le Prix Jean Follain 2018, ce qui semblait un excellent présage!
C'est une vieille maison. On ne sait rien de ceux qui
ont vécu là, juste qu'ils ont vécu, mais vivre est une
énigme. On peut imaginer les pas gravissant les
marches de la tour, les épaules qui se voûtent sous un
chambranle trop bas. Des postures du corps, dans
l'absence des voix. On pourrait vivre là, habiter ce
temps où chêne et volcan se laissaient tailler,
encastrer, jointer. Solives et murs sortis de la terre,
sous la poussée d'une main d'homme, reliés encore
aux bruissements de la forêt, aux remuements de
l'ombre mais dressés contre le froid et la nuit.
Peut-être aurions-nous moins peur, de vivre là.
Usson
in Le présent des bêtes, Ce qui reste, éditions Al Manar 2016, p.34
Les mots tombés
du tricot de la vie
je les ramasse
je les mets dans ma poche
un mouchoir par-dessus
plus tard ma main
s'aventure et ma caresse
les retrouve vivants
in Vider les lieux, Je suis là, éditions Al Manar, 2019, p.37
À l'orée de cette année nouvelle, je souhaite à chacun de vous l'énergie nécessaire pour affronter les éventuels jours "de carton pâte" et si celle-ci vous faisait encore défaut n'hésitez pas à ouvrir un recueil de poésie ou une des pages du Temps bleu, pour vous requinquer!
Vite retenir
avant que le jour ne jette sa chaux
sur les fantômes de la nuit
retenir
un peu de cette vie
furtive échappée de la béance du rêve
où nous avons glissé
avec des gestes fous et des mots
interdits sur nos lèvres muettes
Eurydice n'est pas loin qui tend encore ses bras
retenir ce savoir qui nous initie
à la langue des profondeurs
avant de revenir
errer dans nos ombres pâles
ignorant de quelle déchirure nous sommes faits
in Vider les lieux, Je suis là, éditions Al Manar, 2019, p.42
Bibliographie:
- Le présent des bêtes, Albertine Benedetto, avec les dessins d'Henri Baviéra, éditions Al Manar, 2016
- Vider les lieux, Albertine Benedetto, avec les peintures d'Hélène Baumel, éditions Al Manar, 2019
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