Port des Barques

Port des Barques

vendredi 31 août 2018

Jean Debruynne, la voix engagée d'un poète



         Nous ne croirons jamais

         Ne vous donnez donc pas la peine
         de vos "si" et de vos "oui mais"
         car nous ne croirons jamais
         aux chants fêlés de vos sirènes.

         Nous ne croirons jamais
         à la puissance des puissants,
         au droit du plus fort et des armes,
         ni à la race, ni au sang,
         ni même à la peur du gendarme :
         nous croyons à la Paix.

         Ne vous donnez donc pas la peine…
         Nous ne croirons jamais
         à l'ordre de la pauvreté,
         au régime des privilèges,
         que lutter pour sa liberté
         soit forcément un sacrilège.
         Nous croyons à la Paix.

         Ne vous donnez donc pas la peine
         de vos "si" et de vos "oui mais"
         car nous ne croirons jamais
         aux chants fêlés de vos sirènes.

         Nous ne croirons jamais
         que la peur, la guerre ou la faim
         soient forcément inévitable ;
         que les cours de l'or ou de l'étain,
         le hasard en soit responsable.
         Nous croyons à la Paix.

         Ne vous donnez donc pas la peine
         aux chants fêlés de vos sirènes.
         Nous ne croirons jamais
         que le dollar n'y est pour rien,
         au ciel gagné au prix des larmes,
         aux fins justifiant les moyens,
         aux consciences des marchands d'armes.

         Nous croyons à la Paix.
         Ne vous donnez donc pas la peine
         de vos "si" et de vos "oui mais".

         Nous ne croirons jamais
         qu'un assassin soit un héros,
         qu'il est bon d'avoir fait la guerre,
         qu'un soldat soit un numéro
         et la bombe un mal nécessaire.
         Nous croyons à la Paix.

         Nous ne croirons jamais
         qu'un goulag soit un paradis,
         qu'un tortionnaire soit un juge,
         qu'un rebelle soit un bandit
         et puis qu'après nous le déluge.
         Nous croyons à la Paix.

         Ne vous donnez donc pas la peine
         de vos "si" et de vos "oui mais"
         car nous ne croirons jamais
         aux chants fêlés de vos sirènes.

         Nous ne croirons jamais
         que la torture ait ses raisons,
         que la guerre ait forgé des hommes,
         que de penser vaut la prison,
         qu'un dictateur soit un surhomme.
         Nous croyons à la Paix.

         in Jean Debruynne, Les quatre saisons d'aimer, les Presses d'Île de France, 2010, p.p.136/137

Le poète Jean Debruynne se trouve être enterré au Liban. En effet, il y décède en juillet 2006, peu après son arrivée à Beyrouth.
Accompagné d'un groupe de scouts et de guides, il venait assister à la représentation d'un spectacle, écrit par lui et monté sur place. En raison de la guerre, déclarée juste après, son corps n'a pu être rapatrié en France.

Véhémente, sa parole continue d'interpeller tous les meneurs de guerre ainsi que tous les tyrans de la planète.
Ici, à l'image de Jésus, retiré au désert et tenté par le diable, il rédige avec ironie cette seconde tentation :

          La seconde tentation

          "Dis à la Paix qu'elle ne soit que l'intervalle entre deux guerres", dit la seconde tentation.
  
          Dis à la Paix qu'il faut commencer par faire la guerre si l'on veut faire la paix.
          Dis à la Paix que le soleil noir de la guerre doit d'abord se lever et saigner
          pour que puisse descendre la paix du soir.
          Dis à la Paix que la guerre, c'est bon pour les jeunes et que ça leur manque.
          Dis que la guerre est une vertu virile.
          Dis à la Paix que pendant qu'ils feront la guerre, ils nous laisseront en paix.
          Dis à la Paix que la guerre est un mal nécessaire.
          Dis à la Paix qu'il n'y a pas de paix sans guerre
          et pas d'omelette sans casser d'œufs.
          Dis à la Paix qu'elle n'est qu'une parenthèse, un entre-deux-guerres.
          Dis à la Paix qu'elle est prisonnière, liée, menottes aux mains,
          condamnée, enchaînée, emmenée en convoi entre deux guerres…
          Mais la Paix ne peut-être qu'avant et après la Paix,
          car la Paix est un chemin pour relier la Paix et la paix.
          La Paix vient avant la paix comme le souffle précède le souffle.
          La Paix vient après la paix, comme le battement de cœur suit le battement de cœur.
          La Paix est avant et après, comme chaque pas est un pas de plus.

          Ainsi la Paix doit-elle ruser même avec elle-même,
          car la Paix établie n'est déjà plus que la paix des cimetières…

          ibid p.p. 153/154
         
Sans relâche, il se voudra de son vivant un artisan de paix auprès de tous ceux qu'il côtoie, allant jusqu'à la parodie quand il écrit, il y a plus d'une décennie :


            Si

            Si tu veux la paix,
            cache tes cheveux, cache tes cheveux;
            Ils sont crépus, ils sont épais,
            cache tes cheveux, cache tes cheveux.
            Mon enfant, si tu veux la paix,
            c'est à tes cheveux qu'on en veut.
            Ils sont frisés, ils sont trop noirs,
            cache tes cheveux, mon enfant ;
            si tu veux la paix, ne te fais pas voir,
            mon enfant, mon enfant.

            Si tu veux la paix,
            cache bien ta peau, cache bien ta peau ;
            déjà ton père ils le frappaient,
            cache bien ta peau, cache bien ta peau.
            Mon enfant, si tu veux la paix,
            cache ta peau dans le troupeau.
            Ta peau est sombre et basanée ;
            il aurait mieux valu, mon enfant,
            si tu veux la paix, ne pas être né,
            mon enfant, mon enfant.

            Si tu veux la paix,
            ne dis pas ton nom, ne dis pas ton nom ;
            rien qu'à t'entendre, ils t'inculperaient.
            Ne dis pas ton nom, ne dis pas ton nom,
            mon enfant, situ veux la paix ;
            un nom de peur, lourd comme un plomb,
            non d'immigré ou d'étranger ;
            il faut dès demain, mon enfant,
            si tu veux la paix, redéménager,
            mon enfant, mon enfant.

            Si tu veux la paix,
            éteins tous tes jeux, éteins tous tes jeux,
            les escaliers vous regroupaient ;
            éteins tous tes jeux, éteins tous tes jeux,
            mon enfant, si tu veux la paix.
            Les gens d'ici sont orageux,
            surtout ne faites pas de bruit,
            éteins tes rires et tes jeux, mon enfant,
            sinon, ils les feront taire au fusil.

            ibid p.p.172/173

En combien de lieux de la planète, hélas! ces mots sont-ils encore de mise ?
Depuis le décès du poète, les membres de l'association En Blanc dans le Texte, continuent de se faire les porteurs de son message.
        
Pour en savoir plus sur le poète et le prêtre-ouvrier, qu'il fut, je vous invite vivement à lire ou relire un précédent article, intitulé Jean Debruynne, un audacieux pionnier de la paix, paru sur Le Temps bleu, le 28/10/2016, dont vous trouverez plus bas le lien internet.


Bibliographie:
  • Jean Debruynne, Les quatre saisons d'aimer, Les Presses d'Île de France, 2010
sur internet :


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