Port des Barques

Port des Barques

vendredi 2 juin 2017

Natalia Litvinova sur les chemins du pollen




         Pollen

         Qu'est-ce que je fais de ma vie ? J'attends.
         quand soufflera le vent je laisserai les racines pour faire
         le chemin du pollen.

         in Les coupures invisibles, Todo ajeno,  traductions de l'espagnol de Stéphane Chaumet,
         éditions Al Manar, 2015, p.55
        

Ces instants dorés de l'année, qui correspondent au renouveau et s'accompagnent de parfums, senteurs, et pollens, j'ai dû les fuir trente ans durant, en hyper-allergique que j'étais, condamnée à passer la belle saison entre quatre murs pour éviter la suffocation. Avec l'âge, cette "intraitable allergie" m'a  quittée...et je lui en suis infiniment reconnaissante.

          mon corps a changé de cours.
          je suis entrée dans le souvenir.
          là où la lumière ne sert plus.
          j'avais laissé un chemin
          de mie de pain.

          mais j'ai cédé à ma tentation

         j'ai appelé les oiseaux.

         ibid  Balbuceo de la noche p.45

         j'ai cru devoir accumuler des voix
         pour composer le cri exact
         et frôler avec lui tout ce qui existe.
         mais respirer à suffi.

         ibid p.47

Par bonheur j'ai appris, comme le dit l'auteur, que :

         Écrire c'est aller vers la blessure pour la soigner avec du poison.
         Les dieux lèchent des poèmes et crachent des prières.
         Quand je n'écris pas je trouve mon reflet dans l'œil aveugle
         d'un cheval. Ma mère ne voit pas les phrases que j'ai tatouées
         sur mon ventre.

         ibid p.57

Née en Biélorussie, en 1986, argentine d'adoption, Natalia Litvinova est éditée principalement en Espagne. Nous devons aux éditions Al Manar cette parution en  version bilingue espagnol-français.

L'originalité du verbe, la révolte et la cruauté du ton traduisent peut-être les tourments d'une âme russe et les violences subies encore par les femmes, en pays latins. L'auteur, immigrée, vit en Argentine depuis l'âge de 10 ans. L'audace, qui l'habite, lui fait dire: "en marge de cette feuille s'écrit ma vie, et elle a peur et se cherche poésie".

         Coupure

         Certains hommes ont la délicatesse brute des oiseaux.
         Pour me regarder ils ouvrent l'air, effilochent le vent.
         Si je m'approche d'eux, si je réussis à m'approcher,
         ils me feront une coupure invisible.

                                         **

         Dressage

         Que font les hommes de mon passé,
         quelles villes détruisent-ils ? Quand un cheval sans cavalier
         traverse le champ, je vois dans son regard qu'ils l'ont domestiqué.
         Que font-ils loin de moi ? Et pourquoi je les cherche
         dans les yeux sauvages des animaux ?

         ibid Todo ajeno, p.67

Une voix à suivre absolument pour son audace quotidienne!

         touche la fleur et ta peau s'ouvrira.
         touche les déchets de la veille comme nourriture du lendemain.
         touche les ailes des mouches, aime leur certitude.
         touche le vocabulaire de n'importe quel souvenir.
         touche ta propre nuit, son obscurité protège.
         touche, touche, touche.

         ibid Balbuceo de la noche p.45

Une démarche qui rejoint celle de nombre d'amies poètes, amoureuses du toucher !

Bibliographie:
  • Natalia Litvinova, Les coupures invisibles, Anthologie, Al Manar, 2015

sur internet:

        

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire