Port des Barques

Port des Barques

vendredi 21 avril 2017

Dana Shishmanian rien jamais ne peut arrêter un commencement



         Annonciation

         Que fais-tu ici
         t'es venu voir quoi
         qu'attends-tu
         vaut-il la peine d'y penser
         pas même le temps
         une souffrance t'abat
         une colère t'emporte
         un souvenir te plie
         fin de la ...
         non pas de rime ici
         rimons rimons ailleurs
         dévalons nos sillons
         imprégnons nous du vent
         une franche bourrasque
         se prépare

         in Le fruit obscur, éditions du Cygne, 2017, p.7

Qu'annonce ce poème tiré du dernier recueil de Dana Shismanian paru aux éditions du Cygne en janvier 2017 ? Quelle franche bourrasque se prépare ? Serait-elle ravageuse ou porteuse de renouveau ?

Le fruit obscur est le résultat d'une introspection douloureuse, qui exige de son auteur une bonne dose d'autodérision. Face à l'insurmontable,  rimons, rimons ailleurs... suggère le poète, car rien n'est plus efficace qu'une  mise à distance.

         Au concert

         Il y a toujours quelqu'un qui pleure
         un autre qui proteste
         un fauteur de trouble
         un tousseur
         un agitateur
         un dépressif
         un empêcheur de tourner en rond
         un débile
         un professionnel des mauvais présages
         un rêveur
         impénitent
         un danseur chanteur charmeur
         de serpents
         un incrédule
         un ridicule
         un imbécile heureux
         un va-t-en guerre
         un philosophe
         se croyant utile
         un chef d'orchestre
         minuscule
         à la gesticulation géante
         une consciencieuse
         ancienne dactylo
         en recherche d'emploi
         au clavecin
         un souffleur
         un batteur
         un emmerdeur
         un zélé
         gonflant ses joues à en crever
         un spectateur digne
         indigné
         ennuyé
         émerveillé
         ou tout simplement endormi
         entre deux attaques des vents
         le secouant
         dans son rêve suspendu
         à l'oubli

         ibid p.p.35/36

Fidèle lectrice et amie de l'auteur, je sais qu'aucun des titres choisis par elle pour ses livres ne laisse indifférent, et que chacun dessine en filigrane le profil d'un poète sensible et généreux.

          Le vol

          Le vol commence dans les chevilles
          comme un frémissement de l'air
          dans des flûtes prêtes à chanter

                            (c'est pourquoi on vous les enchaîne
                            on les perce de fil de fer
                            on vous les cloue au sol)

          Le vol commence dans les genoux
          qui ne plient pas
          qui soutiennent la marche sur les eaux

                             (c'est pourquoi on vous les écrase
                             au marteau)

           Le vol commence dans les aisselles
           leur creux est un vide antigravitationnel
           qui vous soulève de terre
           inexorablement

                             (c'est pourquoi on vous attache les bras
                             on vous écartèle aux quatre vents)

           Le vol commence dans la gorge
           tel un cri déployé
           à travers une giclée de sang

                              (c'est pourquoi on vous égorge)

           Le vol commence dans les entrailles
           comme une parole de vérité
           longtemps tue

                               (c'est pourquoi on vous tue)

           Le vol commence au sommet de la tête
           c'est une hélice qui tourne à très grande vitesse
           invisiblement
           on ne peut vous la saisir

                               (même en vous décapitant)

            Le vol commence toujours et ne finit pas
            n'est que pur commencement –
            rien jamais ne peut arrêter
            un commencement

            ibid p.p.49/50

Il y a de la douleur et même de la rébellion dans ces textes, nombre de questions restent sans réponse, mais on y décèle aussi la présence rayonnante d'une force cachée, de l'ordre de la foi,
qu' accompagne un cheminement intérieur. Le fruit obscur naît de ces contradictions.

             Le fruit obscur

             Quand l'heure arrive
             un étrange bien être t'envahit
             inespéré
             tu goûtes à un fruit obscur
             jamais convoité
             inconnu
             non attendu

             ibid p.57

Le quotidien peut nous ignorer, nous piétiner, nous laisser à la traîne, nous mettre sous le boisseau et plus bas encore mais il se trouve toujours dans le puits du cœur un reflet, une étincelle, l'inattendu qui appelle au sursaut, qu'il provienne d'une amitié, d'un regard échangé, d'une lecture, d'un poème. Preuve que la vie est la vie et qu'elle le demeure.

Bibliographie:
  • Le Fruit obscur, Éditions du Cygne, 2017.
sur internet:
            

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire