Port des Barques

Port des Barques

vendredi 27 mars 2015

Gabrielle Althen "La cavalière indemne," son dernier livre

On vieillit et l'espace fléchit. Il n'y a pas de sens. Il n'y a pas de sens! Il n'y a pas davantage de mots. Mais l'honneur de midi chante sur la porte trop tendre.
          in La cavalière indemne éditions Al Manar Alain Gorius 2015, p.11

D'emblée, en quelques phrases, se dessine puis s'affirme la cavalière. Vulnérable mais sauve. Mieux, indemne! Et animée de la passion de transmettre l'expérience intérieure, comme elle a transmis la passion du savoir, des années durant.

Réapprendre la vie sauve, la violente, l'alarmante vie sauve! clame l'introduction à ce livre. Journal d'une vie, Livre de vie, qu'elle passe comme un flambeau et que chacun reçoit à sa manière, là où il en est de son chemin. Tremplin pour ne jamais faiblir.

Membrane, à même le sol, à même le ciel, à même la mer et ma substance, tympan, tympan nerveux où chiffre infime, s'inscrire!

S'inscrire, laisser trace et substance. Savoir, sagesse et fierté de femme et d'humain: il faut s'inventer de durer.
Pour tenter d'y parvenir l'auteur convie la terre entière, et trouve des accents, sensuels et religieux, à la manière d'un François d'Assise, pour scander une litanie moderne:
  
   Ô nuit pensez pour moi! Ô brume, pensez pour moi, peupliers spirituels pensez pour moi! Ma pauvreté se lève à l'horizon, qui me dit nue de ma pensée. Oiseaux ivres de chanter votre lumière, pensez pour moi, spirales du soleil, pensez pour moi! Et vous, bénédiction venue de l'eau, pensez pour moi parce que la peau de l'eau ressemble à notre peau! Et vous, le froid, et vous, la faim, et puis la nuit qui se tapit, et puis l'absurde légèreté du jour, pensez pour moi! Mais vous aussi le vent, mais le courant, mais la joie de chaque chose à sa place, pensez pour moi!
(...)
ibid p.p12/13

Pourtant la route est cahoteuse et combien pesantes glaise et solitude.

            La route

Au sol la carte de la terre
Lourde et noire où tu marches
Malgré la prairie qui fut verte aujourd'hui
Elle porte des étages de ciel mêlé de célibat
Tu n'avais pas compris combien tu étais seul
Où l'heure s'approfondit
La terre ne prend aucune initiative
Ni la brume venue jusque dans nos maisons
La route active est une corde lisse
Où des oiseaux soulèvent de gros mots
Funambule de ton rite
Ce sont des bêtes dans ta cage
Funambule de ton rite
Ce sont des bêtes envolées de ta poitrine
Et il t'en reste
Touffue et vide
La cage
Que tu balances à bout d'âme

ibid p.24

Douloureuse cage, dont libère peu à peu l'écriture, parce que tout dialogue est flexible :

     Funambule entre l'avers et le revers de l'émotion, l'écriture
danse à l'étincelle de chaque pas. Ainsi la ligne d'horizon sans
la peur de tomber parmi les beaux moutons.
    Sans me lasser, je regardais dans le lointain la belle tête d'air
indélébile, buveuse de présence.
   Buveuse de présence, ô chère, buveuse, donneuse de
présence, était-ce peur, quand nous cherchions des passerelles
entre ici-bas et dépassement de nos proies?

ibid p.33

      Entre une fumée de cigarette et son refus de sourire, le
 poète, qui la croyait de verre, prit le temps de transformer la
 cage du monde en gigantesque parloir.

ibid p.34

Transformer la cage du monde, c'est forer dans l'hiver des tunnels où manquent des étoiles. C'est s'atteler à un ouvrage de longue haleine, qui comme une Histoire Sainte, comporte diverses étapes et chapitres aux noms évocateurs, La Contre-terreur, Sed libera nos a malo, Sans preuves, Le Corps indélébile.
À vous de les découvrir, afin de baigner peut-être vous aussi, un jour, votre visage dans l'or de l'évidence.

    J'erre où il y a des arbres simples dans le gouffre du ciel.
Parce que ce bleu trop juste a aboli toute demande de demeure,
on ne comprend jamais si la boule de la terre est sous nos pieds
où s'il nous faut la porter au-dessus de nos têtes.
   Tu es inquiet parce que la charité du lieu sera d'ouvrir ses
portes sur une absence de cloisons. Voici que notre amour a
peur que ses bonheurs de nains détalent comme des rats sur
les pentes, mais nous étions si pauvres que nous avions tous les
droits, y compris celui de ne pas tant souffrir.
  - Prends cet arceau de ciel planté à ton coté et portons-le
chez nous, dans la maison tâcheronne, entre le lit et le foyer.
Nous acclimaterons sans preuves les cris de joie qui couleront
de source.

ibid p.68

      Bergère de la lumière, sans même savoir qu'elle était aux
aguets, elle tenait son cœur vert et nu spacieux assez pour y
loger des souvenirs et des arceaux de ciel.
      La résonnance cherchait en elle le préférable et sa limpidité.
Un arbre pur en contre-jour lui écrivit dans la clarté.

ibid p.80

À l'invite du poète, tenons-nous un instant encore, à contre-jour, comme cette bergère de la lumière, dont le corps brille et se pose comme une offre sans chose et sans matière sur la ligne de l'émoi, dans l'espoir qu'un arbre nous écrive.




      

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