Je suis resté sur le seuil, son infini posé sur mon visage; un souffle, un reste nacré de lune...
Puis je suis sorti. Un pas, deux pas...Peu à peu, mon corps émergeait, ouvrait l'espace à sa mesure.
Des talons, il poussait le sol, accueillait l'air, appelait la lumière. Elle venait. Elle s'approchait.
Une traînée de braise pâle, à gauche, touchait la terre, les roches, les feuillages à perte de vue.
Jusqu'au mauve des crêtes lointaines. J'ai fermé les yeux. Le soleil allait franchir la butte de pierre
à l'ouest. J'attendais. Il y avait un combat silencieux, une crispation de l'espace, une fraîcheur plus
dense, presque froide.
Mon coeur battait. Imperceptiblement, mon souffle s'accélérait. Je sentais un picotement léger me
parcourir. Toute ma peau s' ouvrait, repoussait ses limites. Mais rien ne venait.
C'était interminable. Comme si chaque instant s'étirait un peu plus, se figeait. Devenait un bloc
de temps immobile où j'étais pris. Dont jamais je ne sortirais...
in Le dénouement, Jacques Ancet, p.148
Impossible d'écrire longtemps. Tout se passe comme si, peu à peu, cet acte, qui fut ma vie me
devenait étranger...
in Le dénouement p.159
Les mots s'en vont. Impossible de les retenir. Alors les choses les plus simples, parce que
je ne sais plus les nommer, prennent un relief terrifiant. Une simple pierre me submerge de
son incalculable existence. Si je reste à la fixer trop longtemps, je sens mon corps se pétrifier
tandis que je la vois s'animer de pulsations vivantes. N'y aurait-il entre nous que la distance
d'un langage ?
Jacques Ancet, in Le dénouement, p.167
24 novembre
Dire ce désespoir, cet éboulement obscur...Comme si je glissais sur une pente, lentement
encore mais sans rien à quoi me raccrocher pour freiner ce mouvement inexorable.
Assis face au noir de la vitre, je vois ma mort dans cet écrasement de l'espace. Plus rien ne se déploie.
Ensuite, je ne sais plus. Il y a comme un sommeil dans le sommeil. Et, soudain, des couleurs :
roses, mauves, bleus en écume, jaunes, verts tendres...Je pense : quelle splendeur. Je crois voir
un champ d'herbes hautes, le soleil qui danse dans les feuilles.
Mon corps flotte, léger, dans une brume étincelante.
ibid p.186
Mais sous la tête qu'est-ce qui refuse de se rendre? Qu'est-ce qui continue, poussant les signes
au bout des doigts maintenant glacés, dessinant cette trace illisible où je me reconnais?
ibid p 195
Qui nous répondra des uns ou des autres? Prenons la vie du bon coté, tant qu'il nous reste la poésie!
Je vous convie vivement à lire ou à relire un très bel article rédigé par Jacques Décréau, paru sur
La Pierre et le sel à propos de ce poète et intitulé : Prenons la vie du bon coté.
Jacques Ancet, Puisqu'il est ce silence, prose pour Henri Meschonnic, Les éditions Lettres vives,
Collection Terre de Poésie. Mars 2010
Jacques Ancet, Voir venir laisser dire, aux éditions La rumeur libre, 2018.