Port des Barques

Port des Barques

vendredi 28 août 2020

Le valet, selon Christian Bobin

Assis sur sa chaise de paille, le petit tailleur coupe un fil entre ses dents, modifie un ourlet, ajuste une épaule. Levé bien avant que meure la dernière étoile dans le ciel, il a guetté le jour à sa fenêtre, en vue de l'ouvrage à venir : une robe commandée par la reine, quelle portera le soir même, au bal de l'Empire. Le messager a parlé d'une récompense considérable; promenant sa lanterne sur le visage endormi du petit tailleur, il a murmuré que le châtiment, en cas de défection, serait bien plus immense encore. Il a enfin précisé – criant sur le pont à la sortie du village – que la robe devait être taillée dans la lumière du jour, et dans nulle autre étoffe. Dans la pâleur de l'aube, le petit tailleur a déjà découpé des lys et des vagues semblables à celles de la mer, qu'il a piquées sur l'éclat du plein midi. Il défroisse à présent la lumière tempérée de l'après-midi, de quoi composer une cape tout en dégradés. L'aiguille va dans l'air plus vite que les secondes passent dans l'abîme, il n'y a pas de temps à perdre. Dans la rougeur du couchant, il découpe une large ceinture fauve, écoutant le bruit que font les cavaliers de la reine: venus du fond de l'horizon, ils touchent déjà aux portes du village, et la main va, affolée, essayant d'atteindre la vitesses des chevaux plus rapides que l'éclair, tâchant en vain de rassembler une robe qui part en lambeaux et disparaît avec les premières ombres du soir. Le Valet de Christian Bobin: Lettre Pourpre & autres textes, Brandes Éditeur, 1992. Défendons-nous d'être les valets de quiconque chercherait à nous exploiter et continuons à scruter avec délices les nuages du ciel, qui nous offrent chaque jour leur part de rêve. Bibliographie: Christian Bobin, Lettre pourpre & autres textes, Éditions Brandes, 1992.

vendredi 21 août 2020

Quand Christian Bobin, nous invite à changer de paysage sans bouger

Imaginez un invité qui, sans prévenir, avant que vous ayiez eu le temps de choisir pour lui, s'installe sur votre chaise préférée. Tout le monde a chez soi une chaise préférée. Sur le coup vous ressentez un léger désagrément. Et puis très vite la fraîcheur vient. Presque rien n'a changé et ce presque rien change tout. Vous prenez une autre chaise que celle habituelle, vous avez devant vous un autre paysage, vous êtes bien toujours chez vous, oui, mais vous y êtes de la plus belle façon: de passage. Nous nous accoutumons trop vite à ce que nous avons. Dieu merci, le printemps vient parfois remettre du désordre dans tout ça, nous découvrons que nous n'avons jamais rien eu à nous et cette découverte est la chose la plus joyeuse que je connaisse. Christian Bobin, in L'équilibriste, Le Temps qu'il fait,1998,p.p.31/32

vendredi 7 août 2020

Quand Christian Bobin évoque le poète japonais Ryokan



       Regardant sa robe déchirée par des semaines de vagabondage, le poète japonais Ryokan écrivait :

         
           " Rien dans ma poche. Tout pour la beauté du vent et de la lumière. J'ai dû faire une
              erreur dans ma carrière"


Selon ce que l'on sait du poète Ryokan, né au Japon en 1758 et mort en 1831, c'est qu'il disait ne pas aimer la cuisine des cuisiniers, la calligraphie des calligraphes et la poésie des poètes nous précise Christian Bobin, qui ajoute que pour sa part  "il ne croit pas à ce qu'on lui dit mais à la façon dont on le dit." :

         Dans la hutte au toit de chaume
         jambes étendues
         je prends plaisir
         au chant des grenouilles
         de la petite rizière de montagne

Vivre pleinement de l'air du temps a toujours été l'apanage du poète. Christian Bobin y fait écho avec une délicatesse extrême :

      " Celui qui attend au bout du quai de papier blanc et ne monte dans aucun train, seul dans la nuit étoilée - c'est celui-là qui écrit. Ce qui me fait vous écrire est une chose infime comme l'énigmatique sourire d'un ange".

Une belle occasion de nous souvenir de celui de l'ange de la cathédrale de Reims.

Ange au sourire.jpg


Bibliographie: