Port des Barques

Port des Barques

vendredi 27 mars 2020

Raymond Devos, matière à rire, confinement oblige !

 


         Je hais les haies

         Je hais les haies
         qui sont des murs.
         Je hais les haies
         et les mûriers
         qui font la haie
         le long des murs.
         Je hais les haies
         qui sont de houx.
         Je hais les haies
         qu'elles soient de mûres
         qu'elles soient de houx!
         Je hais les murs
         qu'ils soient en dur
         qu'ils soient en mou!
         Je hais les haies
         qui nous emmurent.
         Je hais les murs
         qui sont en nous!

         in Matière à rire, de Raymond Devos, L'intégrale, Le Grand Livre Du Mois, p.363

Matière à rire, nous en avons grand besoin en ce moment, nous qui nous sentons sans dessus dessous entre nos quatre murs.
Robert Desnos était à l'honneur sur Le Temps bleu, la semaine précédente, Raymond Devos, prend la relève, en cherchant à donner du sens à ce qui nous arrive, quoi de plus naturel!
L'humour de la chose fera peut-être sourire "les confinés" que nous sommes.

         Sens dessus dessous

         Actuellement,
         mon immeuble est sens dessus dessous.
         Tous les locataires du dessous
         voudraient habiter au-dessus!
         Tout cela parce que le locataire
         qui est au-dessus
         est allé raconter par en dessous
         que l'air que l'on respirait à l'étage au-dessus
         était meilleur que celui qu'on respirait à l'étage en dessous!
         Alors, le locataire qui est en dessous
         a tendance à envier celui qui est au-dessus
         et à mépriser celui qui est en-dessous.
         Moi, je suis au-dessus de tout ça!
         Si je méprise celui qui est en-dessous
         ce n'est pas parce qu'il est en dessous,
         c'est parce qu'il convoite l'appartement
         qui est au-dessus, le mien!
         Remarquez...moi, je lui céderais bien
         mon appartement à celui du dessous,
         à condition d'obtenir celui du dessus!
         mais je ne compte pas trop dessus.
         d'abord, parce que je n'ai pas de sous!
         Ensuite, au-dessus de celui qui est au-dessus,
         il n'y a plus d'appartement!
         Alors, le locataire du dessous
         qui monterait au-dessus
         obligerait celui du dessus
         à redescendre en dessous.
         Or, je sais que celui du dessus n'y tient pas!
         D'autant que, comme la femme du dessous
         est tombée amoureuse de celui du dessus,
         celui du dessus n'a aucun intérêt à ce que
         le mari de la femme du dessous
         monte au-dessus!
         Alors, là-dessus…
         quelqu'un est-il allé raconter à celui du dessous
         qu'il avait vu sa femme bras dessus,
         bras dessous avec celui du dessus ?
         Toujours est-il que celui du dessous
         l'a su !
         Et un jour que la femme du dessous
         était allée rejoindre celui du dessus,
         comme elle retirait ses dessous...
         et lui, ses dessus…
         soi-disant parce qu'il avait trop chaud en dessous…
         Je l'ai su...parce que d'en dessous,
         on entend tout ce qui se passe au-dessus…
         Bref! Celui du dessous leur est tombé dessus!
         Comme ils étaient tous les deux soûls,
         ils se sont tapés dessus!
         Finalement, c'est celui du dessous
         qui a eu le dessus!

         ibid p.p.221/222


         Bonsoir tout le monde

         - Couché dans ton lit
         Entre tes draps,
         Comme une lettre dans son enveloppe,
         Tu t'imagines que tu pars
         Pour un long voyage.

         - Mais non, je n'imagine rien.
         Je suis pas né d'hier
         Je connais le sommeil et ses mystères
         Je connais la nuit et ses ténèbres
         Et je dors comme je vis.

         ibid Les portes battantes, p.822

Contentons- nous de vivre "confinés" mais pour la bonne cause!


Bibliographie:

  • Raymond Devos, Matière à rire, Le Grand Livre du Mois.1994
sur internet :






        
        

vendredi 20 mars 2020

Robert Desnos, c'est à qui donnera sa langue au chat

  

          Le chat qui ne ressemble à rien


          Le chat qui ne ressemble à rien
          Aujourd'hui ne va pas bien.

          Il va visiter le Docteur
          qui lui ausculte le cœur.

          Votre cœur ne va pas bien
          Il ne ressemble à rien,

          Il n'a pas son pareil
          De Paris à Créteil.

          Il va visiter sa demoiselle
          Qui lui regarde la cervelle.

          Votre cervelle ne va pas bien
          Elle ne ressemble à rien.

          Elle n'a pas son contraire
          À la surface de la terre.

          Voilà pourquoi le chat qui ne ressemble à rien
          Est triste aujourd'hui et ne va pas bien.

          in Robert Desnos, œuvres, édition réservée aux adhérents du Club Le Grand Livre du Mois,
          p.722, p.722

Puisqu'il semble que les plus de 75 ans soient devenus des proies fragiles destinées d'office aux griffes du nouveau corona virus 19, et que nous soyons tenus de rester confinés chez nous, j'ai décidé de relire, pour passer plus allègrement le temps, quelques uns des textes graves ou truculents, de Robert Desnos.

         Bonsoir tout le monde

         – Couché dans ton lit
         Entre tes draps,
         Comme une lettre dans son enveloppe,
         Tu t'imagines que tu pars
         Pour un long voyage.

         – Mais non, je n'imagine rien.
         Je ne suis pas né d'hier
         Je connais le sommeil et ses mystères
         Je connais la nuit et ses ténèbres
         Et je dors comme je vis.

         ibid paru dans Les portes battantes, 1936-1938, p.822

Comme chacun sait, ce cœur qui haïssait la guerre, mais qui était d'avant-garde, se permettait de faire de l'humour pour gagner sa croûte, avec des publicités à la radio, dont voici quelques échantillons :

         Les chaussures FF

         Sonnette de conférencier.
         Une voix: - vous allez entendre le professeur Plouf vous faire une conférence sur les pieds.
         Plouf. - Malgré qu'il possède une plante et parfois des oignons, le pied n'est pas un végétal.
         L'homme moderne a deux pieds: le pied de paix et le pied de guerre. Si votre pied a 5 doigts,
         le pied anglais a 12 pouces.
         Mais je sauterai à pieds joints le mur de ces considérations générales pour fouler aux pieds
         cette légende qui veut que les pieds soient intelligents ! L'expression "bête comme ses pieds"
         est fausse! Les pieds ont le sens du confort, voire même de l'élégance, et c'est pourquoi la
         grande majorité des pieds exige d'être chaussée avec des chaussures FF.

         ibid p.p793/794

         Le vermifuge Lune
         Air: Dans la rue de la Roquette

         Chanté. - Le bon vermifug' Lune
                         Fait la joie des parents
                         Le bon vermifug' Lune
                         La santé des enfants.

        Parlé.   -   Si votre enfant a des cauchemars
                         Si sa langue est chargée
                         Si son intestin n'est pas libre
                         Donnez-lui la fameuse cure
                         du bon vermifuge Lune.

                        etc... etc…


Le poète, et l'homme de radio qu'il devient à partir de 1936, exaspère Hitler qui le fait arrêter et déporter à Buchenwald, où il arrive le 14 mai 1944.
Transféré dans le camp de concentration de Terezín, en Tchécoslovaquie, où sévit le typhus, il est
mourant quand il est reconnu par Josef Stuna et Aléna Tesarova, qui soignaient les malades et meurt dans leurs bras; il aurait dit de ce moment inespéré qu'il était "son moment le plus matinal"...

À vous de profiter au mieux de votre confinement actuel pour lire et relire de la poésie, ainsi que le bel article écrit à propos de l'auteur par Pierre Kobel, en 2015, sur La Pierre et le sel, dont vous trouverez plus bas le lien .

Bibliographie:
  • Robert Desnos, Œuvres, Le Grand Livre du Mois, 1999
sur internet :

vendredi 13 mars 2020

un jour un texte: L'hommage de Victor Hugo aux lavandières de Créteil



        Choses écrites à Créteil

         Sachez qu'hier, de ma lucarne,
         J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux
         Une fille qui dans la Marne
         Lavait des torchons radieux.

         Près d'un vieux pont, dans les saulées,
         Elle lavait, allait, venait;
         L'aube et la brise étaient mêlées
         À la grâce de son bonnet.

         Je la voyais de loin. Sa mante
         L'entourait de plis palpitants.
         Aux folles broussailles qu'augmente
         L'intempérance du printemps,

         Aux buissons que le vent soulève,
         Que juin et mai, frais barbouilleurs,
         Foulant la cuve de la sève,
         Couvrent d'une écume de fleurs,

         Aux sureaux pleins de mouches sombres,
         Aux genêts du bord, tous divers,
         Aux joncs échevelant leurs ombres
         Dans la lumière des flots verts,

         Elle accrochait des loques blanches,
         Je ne sais quels haillons charmants
         Qui me jetaient, parmi les branches,
         De profonds éblouissements.

         Ces nippes de l'aube dorée
         Semblaient, sous l'aulne et le bouleau,
         Les blancs cygnes de Cythérée
         Battant de l'aile au bord de l'eau.

         Des cupidons, fraîche couvée,
         Me montraient son pied fait au tour,
         Sa jupe semblait relevée
         Par le petit doigt de l'amour.

        On voyait, je vous le déclare,
        Un peu plus haut que le genou.
        Sous un pampre un vieux faune hilare
        Murmurait tout bas : Casse-cou ! 

        Je quittai ma chambre d'auberge
        En souriant comme un bandit ;
        Et je descendis sur la berge
        Qu'une herbe, glissante, verdit.

        Je pris un air incendiaire,
        Je m'adossai contre un pilier,
        Et je lui dis: "– O lavandière!
        ( Blanchisseuse étant familier)

        "L'oiseau gazouille, l'agneau bêle,
        Gloire à ce rivage écarté !
        Lavandière, vous êtes belle.
        Votre rire est de la clarté.

        "Je suis capable de faiblesses.
        O lavandière, quel beau jour !
        Les fauvettes sont des drôlesses
        Qui chantent des chansons d'amour.

        " Voilà six mille ans que les roses
        Conseillent, en se prodiguant,
        L'amour aux cœurs les plus moroses.
        Avril est un vieil intrigant.

        "Les rois sont ceux qu'adorent celles
        Qui sont charmantes comme vous;
        La Marne est pleine d'étincelles;
        Femme, le ciel immense est doux.

        "O laveuse à la taille mince,
        Qui vous aime est dans un palais.
        Si vous vouliez, je serais prince;
        Je serai dieu, si tu voulais." –

        La blanchisseuse, gaie et tendre,
        Sourit, et, dans le hameau noir,
        Sa mère au loin cessa d'entendre
        Le bruit vertueux du battoir.

        Les vieillards grondent et reprochent.
        Mais, ô jeunesse! il faut oser.
        Deux sourires qui se rapprochent
        Finissent par faire un baiser.

        Je m'arrête. L'idylle est douce,
        Mais ne veut pas, je vous le dis,
        Qu'au delà du baiser on pousse
        La peinture du paradis.

        Victor Hugo,  Les Chansons des Rues et des Bois, VII,
        Anthologie de la Poésie Lyrique Française, de la fin du XV°siècle à la fin du XIX°,
        p.p.440 à 443.


    

vendredi 6 mars 2020

Sándor Weöres, c'est ainsi que couraient les fleurs



         La course des girafes telle un rêve,
         une lente nage dans les airs,
         c'est ainsi que couraient les fleurs.

         Sándor Weöres, in filles, nuages, papillons, érès éditions, 2019

         Ô n'emporte pas
         dans ton regard
         les rayons du soleil !
         Ne pars pas, attends-moi
         car ce pays
         s'enfonce dans l'ombre.

         La branche ne se balance pas
         l'hirondelle ne s'envole pas,
         le paysan ne moissonne pas.
         Ô n'emporte pas
         dans ton regard
         les rayons de soleil !

         ibid

Nous devons à Cécile A.Holdban, poète, traductrice et peintre, le plaisir de découvrir en français ces poèmes de Sándor Weöres, traduits par elle du hongrois, langue de leur auteur.
Ce dernier, né en Hongrie en juin 1913, publie son premier recueil, Il fait froid, à l'âge de 21 ans et s'impose aussitôt comme un des meilleurs poètes de sa génération. Il connaitra par la suite un silence forcé sous le régime communiste, ne vivant plus que de ses traductions et ceci jusqu'en 1964 . Il s'éteindra le 22 janvier 1989, à Budapest.

          Je m'interroge. Des oiseaux monstrueux
          se posent en rangs lourds sur mes bras,
          s'évanouissent et se fondent dans l'alphabet.

          ibid

          La fumée descend dans le soir silencieux.
          Les chats se tapissent guettant la traite.
          Les petits chevaux sommeillent debout, leurs rêves
          dessinés sur le foin dans un chaos d'idéogrammes.
          L'ombre du puits s'allonge brune sur le sable,
          rampe violette sur le mur de l'appentis.

          ibid

          Les fleuves

          Les fleuves résonnent l'un dans l'autre
          paraissent s'entrelacer l'un l'autre
          abandonnant leur propre déclin
          sur un chemin d'exil
          sur un galop imprenable
          maintenant et pour longtemps encore.

          ibid

          Le silence des lettres
          sur le papier.

          ibid

          Un souffle caché s'érige
          dans l'obscurité.

           ibid

Derrière le rideau de fer, nombre d'artistes et de créateurs furent, comme lui, muselés et réduits au silence, cependant il leur restait leur fierté :

           Je suis parti loin et je suis là
           je ne pourrai jamais revenir de moi.

           ibid

Les derniers mots du recueil résument en deux lignes ce douloureux passé :
         
            La porte close regarde la porte close.
            Ils sont tant à habiter entre les deux, innombrables !

alors que le titre du recueil ironise en annonçant: filles, nuages et papillons !



Bibliographie:

  • filles, nuages et papillons, Sandor Weöres, poèmes choisis et traduits du hongrois par
         Cécile A.Holdhan, encres d'Annie Lacour, éditions érès 2019.