Il vient de la campagne verte et blanche
par le sentier où si peu passent
l'homme aux yeux sans rencontres
le pauvre aux belles mains dédaignées des besognes
Il pose son visage blessé contre la grille
et regarde le parc fardé de trop de fleurs
et voit voler les balles qui se disputent deux blancheurs
ainsi que des oiseaux dégagés de leurs ailes.
Si sa vie n'est pas de lui
ce pantin le fait rire qu'il se sent devenu
cet humble vieux au chapeau gris où les sous pleuvent
Sa faim est loin de lui avec sa vie sans joie
le jeu de ses yeux clairs le rend à son enfance
et il se voit
tel qu'il n'a cessé d'être en son coeur travesti.
17 mai 1941
Alain Borne, Poème extrait de Seuils, Editions Les Cahiers de l'Ecole de Rochefort, 1943, p.139
Il y a des poèmes qui ne se nourrissent ni de roses ni d'oiseaux, qui ne boivent pas
la rosée des fleurs, qui ne se penchent pas sur la source, qui n'aiment pas les jeunes filles
à l'instant du bourgeon.
Ils ont un visage dur et une odeur d'hiver qui dédaignerait la neige.
Ils parlent de chevaux, de labours, d'humbles herbes, d'enfants sans jouets.
L'amour y semble caché mais apparaît soudain aux trous de l'étoffe avec son insolent éclat
de toujours.
Ils sont avides comme des rustres. Ils ont de grosses mains. Leur rire est triste. Ils grelottent.
Ils ont faim. Ils donnent à manger. Le sang coule d'eux, frais, rouge et vite noir, luisant comme
un long regard échappé.
Les poèmes qui ne se nourrissent ni de roses ni d'oiseaux ont une santé à briser le monde.
Il leur arrive de montrer vraiment l'intérieur du corps qui est rouge et l'intérieur de l'âme
qui est noir et vide.
Alain Borne, Poèmes extraits de Le plus doux poignard, Le Pont de l'épée, 1971, p.171
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