j'écris d'un matin parce que c'est toujours de
là que ça part de cette accroche-là mais peut-
être qu'écrire d'un matin serait déjà refermer
le piège alors parler parler attacher bout à bout
les phrases qui se présentent à l'esprit ne pas
attendre même qu'elles se présentent à l'esprit
être dans le flux de phrases dans le déroulant
des phrases du monde où vont se mêler
se confondre les miennes pour y disparaître
ne pas s'arrêter comme si l'on craignait
l'interruption la séparation des phrases parce
que dans cette séparation des phrases coulerait
une eau froide et noire
in Extraction de la peur, M'endors et merveille, L'herbe qui tremble, 2016, p.47
Surprenante cette première plongée dans l'écriture de Véronique Daine, énumérant ses états d'âme successifs et contradictoires, elle est comme prise de logorrhée ou parfois de panique communicative :
"soudain transpercée par l'eau sombre et glacée où nageaient toutes les terreurs de l'enfance
et après on revenait sur la plage on mangeait des pêches blanches très sucrées dans l'odeur du romarin et la terre était à nouveau chaude".
Un cheminement sensible et douloureux se dessine tout au long de cette lecture.
Ainsi le poète s'interroge sur l'handicap d'une autre :
"et qu'est-ce qui me sépare d'elle ce n'est pas l'âge ni le joli quartier résidentiel qu'est-ce qui peut faire écran à l'eau noire".
alors je parle de ce qui nous endort émerveille
tous ce printemps tant attendu ces jeunes
pousses vert tendre je parle et m'endors
émerveille de la douceur retrouvée je parle
m'endors et merveille de moi-même d'avoir
survécu à cet hiver fait longue cure de ginseng
rouge et acheté de si jolies chaussures sur
zalando je parle m'endors et merveille d'avoir
tout ignoré de l'eau noire je parle m'endors
émerveille en boucle d'être moi aussi une
mère aimante dans un joli quartier résidentiel
déroulant toutes ses phrases du monde en
bouche pleine cave et bien pensante
ibid p.51
Au chapitre Récitatif contre la peur, celle-ci est omniprésente malgré le grand puits de bleu de l'été. L'évacuer par extraction s'impose, comme on arracherait une dent gâtée, tentative qui s'avère en partie réussie puisque le dernier chapitre s'intitule : Joie, la petite (Finalement).
À l'image d'Hetty Hillesum, dans son livre Une vie bouleversée, Véronique Daine choisit d'y "tracer de petits aphorismes et de petites histoires vibrantes d'émotion", pour pouvoir bouger comme il faut la langue qui est parfois comme un plateau dans la bouche.
Le dernier chapitre est un hymne à la joie : que la joie la petite d'amour et la langue quand elle bouge bienheureuse comme ça dans la bouche sont une seule et même chose dans la catégorie des choses ce sont celles qui mettent grand vent dans la tête toute jambe dehors et la veine cave à son cou.
Pour l'auteur créer de la joie avec la bouche du cœur est un acte réservé en premier aux oiseaux et accordé en second au poète. Puissent leurs voix s'accorder et résonner harmonieusement durant les jours à venir sur la Place Saint Sulpice, à Paris, à l'occasion du 36e Marché de la Poésie, où le Québec est à l'honneur !
Bibliographie
- Extraction de la peur, éditions L'Herbe qui tremble, 2016
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