VII
Dans un autre loin peut-être
le temps s'achèvera à force de céder
ses jours ses nuits de refaire
les chiffres de son discours immuable
de s'inscrire en sens contraire
de reculer jusqu'à des parages
inchangeables sans destin
que lentement l'absence
réduit en poussière
je vais et je reviens à l'encontre d'une lumière
qui me remet dans l'ombre
(extrait)
in Un autre Loin, Gallimard, p.28, 2018
Dans ce tout dernier recueil, Un autre loin, paru en février 2018 chez Gallimard,
Silvia Baron Supervielle semble s'interroger à maintes reprises sur ce que lui réserve l'avenir.
Des préoccupations inhabituelles semblent l'assaillir dès le premier texte. Ainsi, au fil de ma lecture,
ai-je été alertée par diverses allusions à une cécité possible telles que celles-ci :
je cherche à dire la plaine de mon regard muet/ je perds la vue à l'intérieur des yeux, j'essaie de voir les arbres/ pour qu'un éclair s'inscrive dans la pierre/ enfonce mon pas dans une racine/ fixe ma vue comme une amarre/ tout glisse à l'intérieur de l'ombre/ je ne peux plus imaginer la plaine/ mon regard est désert/ où voir ce que je ne vois pas, où accueillir une lumière étrangère, l'eau sombre me ramène au courant sans fond de l'obscurité, je marche contre l'été, contre la mer qui n'arrête pas de tirer vers le large mes yeux usés de ne pas voir .
Quoi qu'il en soit, l'auteur demeure pour ses lecteurs cette vigie protectrice, veillant debout à sa fenêtre en l'île Saint Louis.
II
Sans savoir où entrer où sortir
où respirer où mourir
faut-il choisir les moments du passé
ou le présent immuable
qui se succède
faut-il se déprendre de la mer
qui me sépare de l'origine
et avancer à tâtons au ras de l'air
en quête d'un soleil virginal
dans l'ascenseur de la nuit
qui appareille
faut-il un autre vide pour vivre
le sentiment d'un rivage
qui se prolonge dans la brume
parmi des figures masquées
où s'occulte la possibilité
de l'amour
in Un autre loin, Un autre vide, Gallimard, 2018, p.82
Entre un autre vide et un autre loin, il semble que l'auteur ait choisi un autre verbe de chair et de sang, assez proche du lamento :
parfois quelqu'un comme un cheval
hagard heurte la table
parfois c'est moi qui brise les verrières
et tombe sur l'air blessé
ibid Un autre loin, p.14
La douleur autant que la pudeur affleurent du début à la fin au travers des mots quand, dans la solitude affaiblie s'infiltre la nuit, mais la noblesse demeure entière : ici nul visage ne me rendra la vue.
I
Un autre verbe de chair et de sang
sans utiliser ses figures
ni incarner ses accents
ni faire surgir son langage
masqué
un verbe engendré par les mouvements
de la mémoire et de l'oubli
sans savoir où aller où revenir
où regagner le pays d'autrefois
que je ne discerne plus
mais qui demeure englouti
dans ma gorge à la façon
d'un sanglot
où voir ce que je ne vois pas
depuis une escale qui regarde
les bateaux appareiller
la fumée fait des cercles sur le port
jusqu'à ce que le gris sans destin
se défasse de sa marche
où accueillir une lumière étrangère
j'attends un mandat général
afin qu'il change mes yeux
prêts à partir
je tente une voix improbable
qui assemblerait l'espace et le silence
il faudrait que la musique
de la distance suspende son circuit
j'entends des cloches errantes
tinter hors des heures et des sons
s'appeler et se répondre
grâce aux échos muets qui hantent
les voies cosmiques
je suis les échos d'une parole
collective indéchiffrable
qui emploie la langue de la distance
d'un rivage à un autre
lancée par les feux d'un phare
au centre de la mer
in Un autre loin, Un autre verbe, Gallimard 2018, p.p.93/94/95
Pour l'auteur, la fenêtre a toujours tenu une place essentielle, elle effleure la blancheur des papiers, atteste du souvenir d'un pays lointain d'où a surgi un verbe engendré par les mouvements de la mémoire et de l'oubli.
près de moi une fenêtre inhabitée
surveille jour et nuit devant
et derrière elle en espérant
que quelqu'un viendra l'ouvrir
qu'un typhon l'arrachera de ses gonds
pour ne pas reproduire en permanence
les objets recommencés
et usés par le temps
ibid Un autre vide p.83
Silvia Baron Supervielle est cette femme, qui a choisi l'exil volontaire pour tenter d'oublier un temps la toute puissance de la mort, la même qu'elle pressent proche, aujourd'hui. Son tout dernier livre s'achève en effet par ces mots :
au loin un autre loin m'attend debout sur mon passage
l'aube se lève entière de l'herbe de la plaine
et je reprends les marches et le jour
recommence ses heures ses nuits
est-ce un trajet ce ciel
est-ce un envol vers le Sud
l'amour ouvert
ibid Un autre Verbe p.111
Bibliographie:
- Sylvie Baron Supervielle Un autre loin, Gallimard, 2008.
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