Si lasse en ce jardin
D'interroger l'azur
Que ne puis-je m'asseoir
À l'ombre du sorbier
Dans la simplicité du jour
Comme l'enfant naguère
Accoudée à l'éternité
D'un chant d'oiseau
in Les Belles étrangères, 14 écrivains suisses, 2001, p.116
C'est toujours un grand bonheur de retrouver l'écriture d'Anne Perrier, décédée en janvier 2017, à Saxon, en Suisse.
Où me portent mes pas
Nulle demeure au bout du jour
Nul âtre nul abri
Offerts au voyageur
Mais ces appels
Mais cette danse
Mais ce vol éperdu
Dans l'air des papillons de feu
ibid p.117
Ces textes, denses et brefs à la fois, invitent à la méditation. À la manière des livres de chevet, ils offrent sérénité, amitié et profondeur à leur lecteur.
Pourtant quelle douceur
Quand sous la loupe de la lune
Le cœur tremble et se fane
D'entrer dans la demeure
De pierre tendre sous les feuilles
– Serait-ce en rêve – et de se perdre
Au fond du blanc sommeil d'enfance
Et d'oubli
ibid p.118
Si je ne reviens pas
Dites au merle que je me suis perdue
L'on ne sait où dans l'épaisse forêt
De mes pensées de mes désirs
Qu'un infini soleil d'été
Consume
ibid p.119
Quel est ce signe à l'horizon
Sois calme Ô ma brûlure mon âme
Entre dans la félicité
Tranquille de l'arrière-saison
Dépose ici tes peurs tes impatiences
Laisse laisse l'amour
Régler la danse et ne puise
Aujourd'hui qu'en la brève abondance
De l'instant
ibid p.120
Et là-bas coule une rivière
Á la gorge d'ardoise
De loin je me suis penchée
Vers son eau limpide – boire
Ô comme l'oiseau léger ou le vent
Accouru du désert
Boire aux longs traits cette eau
Que me cachent les arbres
ibid p.12
Faire front, ou tout au moins bonne figure à la vie, reste la devise du poète. Voici quelques échantillons de ces petits bijoux d'insolence et de bravoure :
Aucune chose ici
Ne dira oui
ou non
Le fil de l'araignée
Frisonne sur l'abîme…
Qui peut passer ?
Seule une abeille
Met le feu au silence.
in Le temps est mort, Anne Perrier par J.M.Baude, Seghers Poètes d'aujourd'hui 2004, p.107
Il me revient en mémoire à ce propos le souvenir de marches sur les sentiers les plus vertigineux de l'île de la Réunion : des araignées y dressaient des toiles géantes sur le vide, filets irisés que la main humaine peinait à rompre, mais qui se révélaient fatals aux mouches, papillons et autres insectes.
Anne Perrier choisit de faire du "devoir de vivre" un défi, faisons-en autant :
Si le temps me touche
Si la mort m'arrête
Alors que ce soit
D'un doigt éblouissant
in La voie nomade, ibid p.159
Puis retournons, comme elle nous y invite, à notre quotidien avec ce lumineux poème :
J'ai repris seule nos beaux chemins
Ceux que le temps n'aurait pu contenir
Et qui furent d'éternelle saison
Sous les abeilles
J'avance seule où nous allions
Prunelles bleues
Dans l'air oiseaux limpides
Feu
in Lettres perdues, 1968-1970, p.89
Bibliographie:
- Les belles étrangères, 14 écrivains suisses, 2001
- Anne Perrier, Œuvre poétique 1952-1994, L'Escampette, 1996
- Anne Perrier, par Jeanne-Marie Baude, Seghers Poètes d'aujourd'hui, 2004
- un article de Roselyne Fritel intitulé Dans la royauté fragile de vivre, paru sur La Pierre et le sel en décembre 2011
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2011/12/anne-perrier-dans-la-royaut%C3%A9-fragile-de-vivre.html
- un second article de Roselyne Fritel paru sur Le Temps bleu le 28 avril 2017, suite au décès du poète, et intitulé L'ombre est ma demeure :
- http://lintula94.blogspot.com/2017/04/
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