à Monsieur De Voltaire, le 23 novembre 1770
Je conviens que je suis peu "amusable", que l'on me procure souvent des moments de dégoût:
c'est un inconvénient qui ne m'arrivera jamais par vous ; mais que vous ayez besoin de votre
temps avec moi pour réussir, vous devez savoir que ce que le temps dure depuis quelque temps;
il y a un peu plus de cinquante ans que vous en faites l'épreuve.
Rougissez donc, monsieur, de recevoir des impressions par vos nouvelles connaissances contre
la plus ancienne et la meilleure de vos amies. Votre livrée me hait, je sais bien pourquoi.
Je n'ai point devant eux pu fléchir les genoux,
Ni leur rendre un honneur que je ne rends qu'à vous.
Ne les écoutez plus, et ne donnez point à la grand'maman occasion de croire que vous êtes
ingrat et injuste : elle est témoin de mon amitié et de mon admiration pour vous; repentez-vous,
et vous obtiendrez votre pardon.
Votre épître est charmante. Vous ne m'avez point envoyé votre article Dramatique, qu'on dit
être parfait. Il paraît depuis peu un Testament dont on ne peut deviner l'auteur : il est de la main
d'un diable forcé à honorer les saints.
Quand vous l'aurez lu, je voudrais que vous me disiez de qui vous le croyez : c'est peut-être lui
faire trop d'honneur que d'avoir cette curiosité.
Ne croyez pas, je vous prie, que je bâille toujours dans mon tonneau; j'ai encore quelquefois
des moments de gaieté ; mais je n'en ai pas, comme vous, un fond inépuisable en moi-même ;
je ne la produis pas, mais je la reçois facilement, et surtout quand elle me vient de vous.
Vous devriez vous reprocher de m'en donner si rarement, et ce que vous ne devez jamais vous
pardonner, ce sont vos injustices.
Lettres (1742-1780) de Madame Du Deffand, édité à Barcelone, le 3 février 2020.
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