Point critique
Quand la poésie vous tombe en pleine rue, si sûre qu'il suffirait d'écrire à perdre haleine,
ne cherchez pas un crayon, un papier, un mur pour s'appuyer, le monde est là, méfiant et prêt
à rire. Il veut plutôt que vous marchiez avec lui, il a des choses à dire, il s'agite, il jacasse,
arrache une à une les plumes du bel oiseau que vous teniez encore tout à l'heure et qui, vous
le sentez bien s'échappe. Vous vous insurgez. Dans une ruelle, sans criez gare, vous filez,
courez pour grimper quatre à quatre l'escalier du haut bâtiment au sommet duquel vous avez
un coin. Là, enfin vous pouvez quelque chose. Vous le faites tout de suite, le plus parfaitement
possible. Au bout d'un moment, parfois dans la soirée si vous manquez d'air, vous arrivez à réunir
les fils. C'est une brève histoire, compacte, bien à vous. Trois fois vous la relisez et vous pensez
aux amis lointains qui partageront les premiers la bonne nouvelle.
Avouez, vous avez eu peur et vous aviez raison, tant il est vrai qu'il est risqué de franchir cinq
cents mètres de foule avec un enfant en train de naître surtout quand il est beau.
Georges-Louis Godeau, Le printemps des poètes, C'était hier et c'est demain, Anthologie, Seghers,
Poésie d'abord, 2004, p.94
Ce texte est bel et bien d'actualité. La poésie demeure, par les temps qui courent, le sang, qui irrigue nos veines, l'élan qui brave toutes les contraintes afin d'étancher tant soit peu nos soifs et solitudes.
L'éditeur de Georges-Louis Godeau (1921-1999) précise dans sa notice biographique qu'il est né dans les Deux-Sèvres et que, devenu ingénieur au génie rural, il se consacre également à l'écriture. Dans ses courts textes en prose la poésie s'immisce constamment, dans la force d'un détail, d'une image, dans des phrases elliptiques, concrètes, qui laissent toujours échapper l'invisible.
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