Port des Barques

Port des Barques

vendredi 29 novembre 2019

Léon-Paul Fargue, au fil de l'heure pâle comme un lâcher d'oiseaux



         

          Au fil de l'heure pâle

          Un jour, au crépuscule, on passe, après la pluie,
          Le long des murs d'un parc où songent de beaux arbres ...
          On les suit longtemps. L'heure passe
          Que les mains de la nuit faufilent aux vieux murs …

          Mais qu'est-ce qui vous trouble au fil de l'heure pâle
          Qui s'ourle aux mains noires des grilles ?
          Ce soir, le calme après la pluie a quelque chose
          Qui fait songer à de l'exil et à la nuit …
          On entend le bruit nombreux
          Des feuilles partout
          Comme un feu qui prend …
          Des branches clignent. Le silence
          Épie
          Et il passe des odeurs si pénétrantes
          Qu'on oublie qu'il y en ait d'autres
          et qu'elles semblent l'odeur même de la vie…

          Plus tard, un peu de soleil dore
          Une feuille, et deux, et puis tout !
          Alors, l'oiseau nouveau qui l'ose le premier
          Après la pluie
          Chante !
          Et comme une âcre fleur sort d'une lampe éteinte
          Il monte de mon cœur l'offrande d'un vieux rêve …

          Un rayon rôde encore à la crête du mur,
          Glisse d'une main calme et nous conduit vers l'ombre …
          Est-ce la pluie ? Est-ce la nuit ?
          Au loin, des pas vieux et noirs
          S'en vont
          Le longs des murs du parc où les vieux arbres songent …

          in Poésies, Pour la musique, de Léon-Paul Fargue, Poésie / Gallimard, 2013, p.p.150/151

 
"On ne guérit jamais de sa jeunesse" écrivait l'auteur. Ainsi nos souvenirs d'enfance ne cessent de nous modeler, ils nourrissent nos rêves et nos écrits et les rendent uniques à nos propres yeux.

         Rêves

         Un enfant court
         Autour des marbres..
         Une voix sourd
         des hauts parages..

         Les yeux si graves
         De ceux qui t'aiment
         Songent et passent
         Entre les arbres..

         Aux grandes orgues
         De quelque gare
         Grande la vague
         Des vieux départs..

         Dans un vieux rêve
         Au pays vague
         Des choses brèves
         Qui meurent sages..

         ibid Pour la Musique, p.141

Grâce soit rendue à l'enfance, car en ce temps-là :

          La vie tournait dans son passé, dans sa musique et dans sa joie. Sur la plage on voyait briller
          tous les aimés, tous les disciples attentifs. Debout, la figure penchée vers ce qui arrive, avec
          des fleurs et des ombrelles ! Oh tous les espoirs formaient le cercle, à plein cœur, dans les
          pays blonds tressés tout autour et blanchis des villas où se reposaient les peines...Les voiles
          des vaisseaux gonflaient leurs joues blanches… On n'était séparé de  l'immense Amour et de
          la Mort que par des premiers plans noirs d'étranges visages, des villes, des fêtes foraines,
          des jardins sombres remplis de détritus où des cornemuseux faisaient danser des spectres,
          des caves, des casiers où mangeaient les souvenirs, un comique nasillard, une vieille femme 
          accroupie en bonnet de paysanne, et l'homme des foules aux yeux impurs et si tristes!..
          Et tout bataillait de grands gestes, d'offrandes et de reprises, pour venir buter à l'Irréfragable…
          Les passions tordaient leurs cariatides. Les fleurs des yeux souvent balancées adoucissaient
          seules les formes poignantes, les formes sombres.. Et tout un bouquet de noms propres, qui
          parfumaient l'air de leur intimité si vieille, partaient et chantaient comme un lâcher d'oiseaux !
         
              Le soir vint. Nos groupes marchaient et souffraient sur un grand ciel rouge. On vint fermer
          des grilles d'or.. Le sommeil jetait ses pavots d'honneur et la Mort donnait des acomptes…

              Nous autres, friands de l'odeur d'un parc, nous nous obstinions à y pourchasser la bête du
          Bonheur.. La bête infidèle aimée dès l'enfance..
              Et les hautes maisons haussaient les épaules, toutes noires…

                                                                                                           1902

          ibid Poëmes, p.137/138

En ce matin gris de novembre, un ange se pose aux créneaux du jour...Des fenêtres qu'on ouvre, au loin, se signent l'une après l'autre d'un coup d'aile… Il semble que de longs bras d'argent tournent les pages d'un livre vague, épars, sans bornes…

Partageons ces miracles de la poésie, aussi fugaces soient-ils et ne manquez surtout pas de lire le bel article paru dans La République des Lettres dont le lien figure ci-dessous.

Bibliographie:

  • Poésies, Léon-Paul Fargue, Poésie/ Gallimard, 2013
 sur internet:   
 




         
         

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