La nuit la ville la solitude
Il pleut des pierres précieuses
les vitrines ont des lueurs de guillotine
Les assassins tranquillement assassinent
les voleurs cherchent l'argent, ils oublient le feu
les amants s'enfoncent dans les murs pour échapper aux violences
Nora Nord n'est pas venue au rendez-vous
Je vais encore être malade
Nora Nord vient de moins en moins souvent
Elle n'écoute plus que la pluie et le vent
Nora Nord n'aime plus ma bouche ni mes paumes brûlantes
On la voit errer aux barrières où s'égarent des créatures lourdes, lentes
La nuit la ville la solitude
La tête sur l'oreiller nie furieusement les accusations
la sordide conjuration du bruit et du béton.
in André Laude, Œuvre poétique, Un temps à s'ouvrir les veines, La Différence, 2008, p.331
L'écriture d'André Laude peut surprendre et même bousculer parfois, le verbe en est direct et le ton souvent provocateur. S'il arrive à l'auteur d'injurier son lecteur, il le prie de lui pardonner sitôt après .
Revenant du Festival de Poésie de Sète, je cite avec humour le pamphlet qui suit, qui fait allusion au cimetière marin de Sète :
Je hais la saleté
les chiures de mouche
les chiures de bouche
je n'aime que l'été
l'éclat froid de la lumière
sur la peau de la vipère
le blanc des mouettes
la géométrie des tombes au cimetière de Sète.
ibid Roi nu roi mort, La Différence, 2008, p.505
André Laude, (1936-1995), né et mort à Paris, a été anarchiste, journaliste, insoumis entré en clandestinité lors de la guerre d'Algérie, mais également poète.
Son engagement poétique, résolument d'ultra gauche, traduit sa volonté de bouleverser l'ordre établi, l'ordre social comme l'ordre culturel ! La véhémence de ses textes, lancés tels des cris de rage, fait qu'ils demeurent, au delà de sa mort, de redoutables et bouleversants appels à la révolte dans la fraternité :
si j'écris c'est pour que ma voix vous parvienne
voix de chaux et sang voix d'ailes et de fureurs
goutte de soleil ou d'ombre dans laquelle palpitent nos sentiments
si j'écris c'est pour que ma voix vous arrache
au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs
aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir
si j'écris c'est pour que ma voix où roule souvent des torrents de blessures
s'enracine dans vos paumes vivantes, couvre les poitrines d'une fraîcheur de jardin
balaie dans les villes les fantômes sans progéniture
si j'écris c'est pour que ma voix d'un bond d'amour
atteigne les visages détruits par la longue peine le sel de la fatigue
c'est pour mieux frapper l'ennemi qui a plusieurs noms.
ibid Œuvre poétique, Vers le matin des cerises, p.267
J'ai eu l'occasion de dire le texte qui précède, au cours d'une soirée poétique organisée par Hélices - Poésie au Carré des Coignards, à Nogent sur Marne, en 2010 et j'en garde en bouche toute l'intensité. Selon moi ce texte, avec celui qui suit, fait partie des pierres précieuses de l'auteur.
Je ne t'attends pas
je t'atteins d'un seul coup d'aile
je te baigne d'eau douce
je dénoue tes frondaisons
chaque secousse du désir me rapproche
du centre de la flamme
on parlera bientôt de noces de feux
qui se sont croisées dans les campagnes
abordés avec cette fraîcheur de source aux lèvres
et puis apprivoisés à petits coups de
silences
on parlera bientôt d'un pays habitable
vérifié par le vol des abeilles
nous n'aurons pas assez de mains ardentes
pour cueillir le coton blanc des légendes
nous n'aurons pas assez de nuits transfigurées
pour faire cet enfant de jasmin et de jour
qui posera son front sur la mer
jusqu'à ce que la blessure se taise
dans chaque homme saccagé par les songes
ibid Œuvre poétique, Riverains de la douleur, p.p.450/451
André Laude a fait preuve d'une grande exigence envers lui-même et n'a jamais recherché les honneurs. La citation qui suit en témoigne. Il s'agit de sa réponse à J.C Valin, qui sollicitait son témoignage pour un futur hommage au poète René-Guy Cadou :
En vérité, Cadou – et quelques autres avec lui – m'a beaucoup appris. C'est fou même ce
qu'il a pu m'enseigner, lui qui ne chérissait que l'école buissonnière. Plus le temps s'écoule,
De la femme au rouet à la vieille dame au sein tari, tout lui est sujet à célébrer les plus humbles choses de la vie :
.
Le silence voltige autour
des simples ustensiles.
Autrefois il y eut des amours
brûlants, fiévreux.
Le soir, loin des fureurs de la ville
les gestes
s'accordent aux couleurs un peu usées.
ibid Œuvre poétique, Mémoires fixes 1977-10987, 2008, p.579
Il décède un samedi 24 juin 1995, alors que Place Saint Sulpice se déroule le Marché de la Poésie.
Grâce à la ténacité de quelques amis fidèles, dont le poète Abdellatif Lâabi et son épouse, l'édition posthume de son œuvre poétique, parait en 2008.
Retenons en particulier cette invite à poser notre regard sur la beauté des choses et par la même occasion sur la vie toujours à l'œuvre.
Où poser les yeux, le regard ?
sur la beauté des choses
où poser les mains agricoles ?
sur la pierre chaude
où se lovent vipère et couleuvre
le temps détruit visages et roses
la vie toujours à l'œuvre
court de métamorphose en métamorphose
ibid p.579
Bibliographie:
sur internet:
Plusieurs articles de Pierre Kobel, un de ses plus fervents lecteurs, sont parus sur La Pierre et le Sel :
avec ce petit chuchotement de sablier, plus j'en deviens conscient. Il m'a ouvert les yeux,
m'a arraché cette poussière d'or qui me rendait aveugle. Mais par-dessus tout, il m'a à
tout jamais convaincu que les devoirs du poète sont autrement plus vastes que ses droits,
ou pour le moins, que ceux-ci n'existent que dans la mesure où ceux-là nous demeurent
gravés dans le métal de l'esprit.
Il m'a livré corps et âme, pieds et poings liés à cette mystérieuse vocation qui n'admet pas
de rivale. Il m'a rendu le but, la raison d'être de l'exercice du langage : témoigner de
l'homme pour que se lève enfin, de toutes les poitrines mêlées dans le même flux d'amour
et de compréhension, une aurore formidable.
De la femme au rouet à la vieille dame au sein tari, tout lui est sujet à célébrer les plus humbles choses de la vie :
.
Le silence voltige autour
des simples ustensiles.
Autrefois il y eut des amours
brûlants, fiévreux.
Le soir, loin des fureurs de la ville
les gestes
s'accordent aux couleurs un peu usées.
ibid Œuvre poétique, Mémoires fixes 1977-10987, 2008, p.579
Il décède un samedi 24 juin 1995, alors que Place Saint Sulpice se déroule le Marché de la Poésie.
Grâce à la ténacité de quelques amis fidèles, dont le poète Abdellatif Lâabi et son épouse, l'édition posthume de son œuvre poétique, parait en 2008.
Retenons en particulier cette invite à poser notre regard sur la beauté des choses et par la même occasion sur la vie toujours à l'œuvre.
Où poser les yeux, le regard ?
sur la beauté des choses
où poser les mains agricoles ?
sur la pierre chaude
où se lovent vipère et couleuvre
le temps détruit visages et roses
la vie toujours à l'œuvre
court de métamorphose en métamorphose
ibid p.579
Bibliographie:
- André Laude, Œuvre poétique, Éditions de la Différence 2008
sur internet:
Plusieurs articles de Pierre Kobel, un de ses plus fervents lecteurs, sont parus sur La Pierre et le Sel :
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/01/les-amis-dandr%C3%A9-laude.html
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2015/06/andr%C3%A9-laude-vingt-ans-apr%C3%A8s.html
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2015/06/andr%C3%A9-laude-vingt-apr%C3%A8s-2.html
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2015/06/andr%C3%A9-laude-vingt-ans-apr%C3%A8s-3.html
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2015/06/andr%C3%A9-laude-vingt-ans-apr%C3%A8s-4.html
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