Port des Barques

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lundi 13 juillet 2015

Moëz Majed, "Chants de l'autre rive"


La voix du jour nous vient de Tunisie. Le poète, Moëz Majed, présent à Sète, en juillet 2014, lors du Festival Voix vives de méditerranée en méditerranée, est l'auteur de ces Chants de l'autre rive, écrits en français et traversés d'un souffle épique.

        2

        Là-bas, sur une terre d'argile tiède, vit un peuple de rois.
        Gare à sa colère...

        Sans doute faudra-t-il, pour convier l'orage,
        De grands rituels et d'obscurs arcanes...
        Cultiver patiemment la colère des dieux...
        Rompre la retenue des ombres.

        Sans doute faudra-t-il quelque trahison.

        Ô toi corsaire triomphant des grandes rages du gisant,
        Laisse donc courir l'ombre fraîche de l'orgueil
        Sur nos steppes desséchées.

        Ô premières pluies après l'été!
        N'était-ce donc que de l'argile, cette peau que je croyais mienne?

        Ô pluies de poivre et d'oracles dans la gésine d'un peuple né,
        Colère et outrance...
        Et l'effroyable panique.
        Jadis la peur... demain l'enfance.

        La houle, en haute mer, se charge de colère.
        Elle brisera dans une heure l'orgueil du rocher.

        Et ici-bas, sur cette terre d'argile tiède,
        Misérable...
        Impassible mais fier, vit un peuple de rois.

        Forgerons des orages.

        in Chants de l'autre rive, 2ème chant, éditions Fata Morgana, 2013

La Tunisie est confrontée actuellement à une vague d'attentats, qui ne nous laissent pas indifférents. La tentation d'élever des murs de protection contre la barbarie grandit.
La poésie, qui ne connaît pas de frontières, n'en est que plus précieuse. Le Festival de Poésie, qui chaque année réunit, à Sète, en une grande famille, les poètes des rives de la Méditerranée et ceux d'horizons plus lointains, en est l'emblème. Longue vie à lui.
 
Moëz Majed est né en 1973, en Tunisie. Il est journaliste et poète, comme l'était son père, détenteur d'une riche bibliothèque arabophone. "Je suis le dépositaire de cette tradition familiale" dit-il.
Dans ce recueil, paru en 2O13, il essaie de capter et traduire "l'éphémère émotion" ressentie au fil des jours, durant la révolution de son pays, L'autre rive étant pour lui la rive à atteindre.

À Sète, interrogé par Gérard Meudon sur son choix d'écrire en français, il répond:
 
     Je ne sais pas pourquoi j'écris de la poésie en français, c'est un accident. Mon père écrivait en arabe classique. J'écris peut-être en français pour des raisons œdipiennes. J'ai pu constituer une identité en français, durant mes études, faites en partie à Lille. J'écris à haute voix et je suis davantage emporté par la musique des mots que par leur sens. Après ce livre, je suis resté sans écrire autre chose, durant deux ans.
 
À le lire ou l'entendre on pense parfois à la voix de Saint-John Perse dans Anabase mais aussi... à la grande poésie arabe, réplique-t-il.

        (...)
 
        Notre gloire est au grand jour!
        Notre grandeur est dans les rues!
 
        Mais bien des braves se sont soumis à la nouvelle caste des maîtres,
        Bien des braves ont concédé à l'orgueil son tribut d'allégeance.
        Et ils nous disent que ce n'est point de la traîtrise,
        Mais que là où va le désir du prince, germe l'honneur de l'obligé.
 
        (...)

        ibid 9ème chant
 
L'ensemble du recueil est magnifiquement illustré de calligraphies arabes de Nja Mahdaoui, qui ajoutent à la séduction de cette  voix.

Le  huitième chant est une invite et un prélude à de nouvelles rencontres poétiques en Méditerranée.
 
        8
 
        Heure bénie parmi les heures, celle où la clameur du
            large consent au silence son royaume,
        Celle où l'enfant cède à contrecœur au fil du sommeil, 
        Où l'on n'entend plus qu'un grillon solitaire et le
            grincement indécis d'une persienne mi-close.
 
        Dans le bassin de marbre blanc, l'eau retrouve son
           calme et plus rien n'effraie les créatures du fond.
 
        C'est l'heure de toutes les solitudes!
 
        Celles conquises de haute lutte dans la verdure inat-
            tendue d'un pays de soif,
        Celles qu'on enfouit telle gemme improbable dans
            la blessure encore vive d'une chair immémoriale,
        Et celles qu'on croyait à jamais perdues et qu'on retrouve
            soudain au beau milieu d'une foule qui gronde.
 
         Ô grandes solitudes de ces temps d'une autre race!
      
         Ce fut un cri.
         Un seul et unique cri sorti du cœur d'un olivier millénaire,
             remportant dans l'onde de son souffle inédit tout un
             ordre de choses finies.
 
         Oui, grande fut la méprise
         Et immense sera le tribut.
 
        Combien de temps, encore, l'outrage?
        Combien de fois, encore, faudra-t-il mourir?
         
         ibid  8ème chant
 
 
sur internet
 
 
 
 
 
 

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