L'entité
Je suis habité par un poète. Ils pensent tous que c'est moi qui écris, mais c'est lui qui jour et nuit
m'oblige à supporter ses tourments. Il prend ma main, la fait glisser sur la feuille, il pense et j'écris
ses pensées sans rien dire. Je supporte son angoisse, son mal de vivre, ses colères.
Pourquoi Dieu m'a-t-il choisi ? Avant je dormais dans ma roulotte en tout lieu. Un jour il m'a forcé
à découvrir les fleurs des champs. Il m'a reproché d'avoir au cirque frappé les bêtes. Je lui ai dit :
"Montre-toi, sors de mon esprit, qui es-tu ?"
Je reste sans réponse. Depuis de nombreuses années, j'ai perdu le goût du luxe, je n'aime plus l'or.
Tout cela à cause du poète qui vit en moi.
Hier, je volais des poireaux dans les jardins, aujourd'hui on m'écrit des lettres d'admiration quand
je souffre d'angoisse. Pitié, poète, montre-toi. Délivre- moi de toi et donne tes pensées à un autre !
in Anthologie-Manifeste, Habiter poétiquement le monde. POESIS, 2.020, p.403
Jean-Marie Kerwich est né à Paris, il est selon lui de "ces poètes qui prenaient entre leurs mains un bout
de ciel et le caressaient délicatement comme on caresse un nouveau-né, et soudain la parole était vêtue
de poésie".
La poésie
On dit que je suis un poète. Je ne sais pas, je suis plutôt un témoin de ce que la plupart des hommes
ne voient pas. Cela peut être un insecte qui boit un peu d'eau sur le rebord d'une poubelle, ou bien
un rat qui renifle un bout de fromage jeté. La poésie est une aventurière, une curieuse jeune femme
qui illumine les moindres choses, celle dont personne ne veut parler.
ibid p.404
Le roi des gitans
J'aurais tant aimé avoir la grâce de l'écriture de Rimbaud, ce paysan qui aurait pu être le roi de tous
les gitans ! Hélas, je ne suis pas un poète, mais un pauvre nomade qui écrit au dos des prospectus de
cirque.
La souffrance est prête à enfanter : ce sera un fils, un esprit saint, un prophète. Il sera à l'écoute des
moindres mots que lui diront les éléments, de la feuille morte au grain de blé, de l'homme le plus
puissant au plus misérable.
Cet esprit saint s'appelle la bonté, mais beaucoup le rejettent en eux-mêmes. Le monde leur fait
tourner la tête et ils ne voient plus le visage de la vérité.
Moi, il fallait que j'écrive. Si je n'avais pas eu de main pour écrire, j'aurais frappé ma tête contre la
feuille blanche et Dieu aurait fait en sorte qu'on me comprenne.
ibid p.406
Bibliographie :
Jean-Marie Kerwich, L'évangile du gitan, 2008. Textes parus dans l'Anthologie-Manifeste, intitulée
"Habiter Poétiquement Le Monde, POESIS.
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