Port des Barques

Port des Barques

vendredi 15 janvier 2021

Jacques Ancet, "je reviens, une dernière fois, je reviens, le poème n'existe pas, seule existe la trace qu'il en reste"


       Je sais qu'il n'y a plus de temps, que chaque instant ne reviendra pas 

       la lumière s'est posée au bord de mes yeux, et c'est comme si elle me veillait 
       de son feu muet 
  
       je cherche au fond de moi les raisons qui me reste de poursuivre 
       et c'est la même voix que je retrouve 

       je fais silence pour l'entendre, et c'est comme une pièce où elle résonnerait encore 
       où j'entendrai son appel de brume et de lisières 

       je reviens mais j'ai tous les motifs de me taire, de m'enfouir sous les décombres des heures 

       une fois de plus j'ouvre l'espace ou est-ce l'espace qui m'ouvre 

       une fois de plus je salue le jour même s'il ne se ressemble plus 

       je reviens, et avec moi la même chaleur écrase les géraniums et les feuilles immobiles, 
       le même volet penché contre le ciel 

       demain hier aujourd'hui se bousculent entre mes mots et c'est encore, entre eux, 
       la même joie, la même angoisse 

        je reviens dans la pauvreté et la poussière, de passage toujours, assis devant cette porte où 
        quelqu'un doit venir 

        où ceux qui entrent et sortent ne me regardent pas car comment pourraient-ils me voir moi 
        qui ressemble à tous et à personne 

        ils s'approchent, ils me frôlent en passant, je vois pantalons et jupes, jambes et sandales, 
        un ballet interminable 

        j'entends le claquement métallique, intermittent, de la porte, le bruit des voix, le téléphone 

        mais qui peut m'appeler encore dans le brouhaha unanime, dans l'odeur de créosote des 
        couloirs et leur nuit blanche où je ne cesse de me perdre
       
        in 0de au recommencement , Jacques Ancet, Les éditions Lettres vives, 
        Collection Terre de Poésie, 2013, p.p.86/87.

Sans jamais me lasser, je reviens moi aussi à l'un de mes poètes préférés, Jacques Ancet, que j'ai eu la chance d'entendre à plusieurs occasions à Paris et durant l'été, au Festival de Poésie de Sète. Il est de ceux qui me nourrissent tout particulièrement.

Né à Lyon en 1942, le poète vit et travaille près d'Annecy.  Il est l'auteur d'une quarantaine de livres et a reçu de nombreux prix. 
Nous lui devons également, la traduction en français de nombreux poètes de langue espagnole, allant de Jean de la Croix à des contemporains comme Borges, Juarroz ou Alejandra Pizarnik, en d'Amérique latine. 

Bibliographie :

Ode au recommencement, Jacques Ancet, Les éditions Lettres vives, collection Terre de poésie, 2013

sur internet :


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