Port des Barques

Port des Barques

vendredi 2 novembre 2018

Sabine Péglion un parfum de distance et d'oubli



         La fenêtre ouvre la nuit
         vagues sombres    si loin
         où l'éclat de la lune
         trace un chemin

         Dans le jardin    le vent
         secoue la glycine
         glisse entre les herbes
         un parfum de distance
         et d'oubli

         in Faire un trou à la nuit, éditions la tête à l'envers, 2016, p.75

Par ce trou fait à la nuit s'insinue la poésie. Elle pointe du doigt le sens de la lumière, la part du vent que tu réclames, alors soudain respirent les vagues sous la lune rouge, qui se lève .

          Quand s'entrouvre la nuit
          elle dépose    ses mots
          sur la soie     des pinceaux
          s'aventure sans bruit
          vers d'étranges tableaux
          où les couleurs se fondent
          où les rives s'estompent

          Quand s'entrouvre la nuit
          elle inscrit les lambeaux
          de rêves déchirés
          d'espoirs désertés
          puis sur la toile fine
          lentement imagine
          ritournelles   rengaines
          berceuses   mélodies

         (extrait)

          ibid p.77

Ainsi viennent parfois les mots aux êtres fervents.

Sabine Péglion est professeur de Lettres et poète, en banlieue parisienne. Sa poésie a fait l'objet d'un précédent article, rédigé par Pierre Kobel et paru sur La Pierre et le sel, en décembre 2017 ( voir plus bas le lien internet ).

Elle nous entraine, ici, dans une méditation à propos du sens de la vie, que nous faisons volontiers nôtre :

           Que sais-tu
                de ces eaux
           embarquées   dormantes
           sur les rêves     des rives
                 de ce fleuve
           aux calanques de nuages
           éparpillant le jour

          Que sais-tu
               des écueils
          écartés    pulsation
          à fleur de  la détresse
                de ces nacres
          cueillies sur les collines
          tussilages en fossiles

          Que sais-tu
               de la mauve
          s'ouvrant et se mêlant
          aux lambeaux de la nuit
               de ces barges
          à l'étrave éclatée
          lourdes de sable gris

          Que sais-tu
               de ces traces
          s'écorchant à la brume
          en filaments d'argent
               de l'absence
          des passants en allés
          au chemin de halage

                                    Je ne sais rien
                                        que la rumeur    de vivre
                                        ces notes déchirantes
                                        sur la paroi du temps
                                        que nos jours qui dérivent
                                        dans le bleu de l'instant

          in Faire un trou à la nuit, éditions La Tête à l'envers, 2016, p.p.20/21

Chacun sait par contre que l'envers de la nuit n'est pas toujours rose, mais "peu importe la nuit, il faut nager plus loin, peu importe ce vide puisqu'il faut s'y résoudre," insiste le poète, déployant sous nos yeux une force d'âme exceptionnelle, force qui contraste avec son apparence physique toute de féminité et de fragilité.
Apaise-toi, voici le temps venu de trouver, d'accepter d'autres lumières vers d'autres terres. Les terres fécondes de l'écriture poétique tracent le chemin d'une espérance retrouvée. 
Ce recueil, construit d'après le sens de la lumière et la part du vent, fait une place majeure au courage mais aussi à l'acceptation, l'une des qualités les plus rares au monde.

          Elle ne refuse pas
          l'errance des fougères
          l'empreinte des marais
          l'arabesque des joncs
          et cette odeur fragile
          des crépuscules muets

          Elle ne refuse pas
          l'envol des crécelles
          l'attente du héron gris
          ce froissements des ailes
          à l'envers de leurs cris

          la poussière des routes
          les lueurs incertaines
          l'amertume du doute
          les blessures   les remords
          la fêlure du corps

          Elle ne refuse pas
          la poursuite des mots
          ce goût de fer acide
          trouvé au fond des eaux

          Enfouissant sa bouche
          à la lisière des plantes
          elle laisse glisser en elle
          le sommeil de la lise
          la clairière    de l'instant
          l'espérance d'un chant

          l'horizon qui bleuit
          imperceptiblement

          ibid p.p.79/80

L'auteur fait partout un usage intensif de verbes à l'infinitif, des verbes d'action, propres à nouer des liens, tels accueillir, conjurer, traverser, persister, dans une ouverture à l'autre communicative.

          Nommer
          pour conjurer le vide
          pour accueillir la lumière
          d'une présence

          Nommer
          pour traverser le pont
          de l'absence

          Saisir cet instant
          près du jour
          évanescence d'une ombre
          dont on suit les contours

          Les branches de l'arbre
          accrochent le silence du ciel
          On navigue en cet enclos
          de ramures en mâtures

          On persiste   on s'avance

          ibid p.84

Le lecteur se laisse peu à peu gagner par cette forme d'espérance retrouvée, sereine et communicative, qui fait de ce recueil un livre de chevet.
Pas à pas, dans les pas du poète, il persiste et avance, tentant de mieux vivre au rythme de sa propre histoire.

Bibliographie:
  • Faire un trou à la nuit, Sabine Péglion, éditions La tête à l'envers, 2016
sur internet:
         




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