La fenêtre ouvre la nuit
vagues sombres si loin
où l'éclat de la lune
trace un chemin
Dans le jardin le vent
secoue la glycine
glisse entre les herbes
un parfum de distance
et d'oubli
in Faire un trou à la nuit, éditions la tête à l'envers, 2016, p.75
Par ce trou fait à la nuit s'insinue la poésie. Elle pointe du doigt le sens de la lumière, la part du vent que tu réclames, alors soudain respirent les vagues sous la lune rouge, qui se lève .
Quand s'entrouvre la nuit
elle dépose ses mots
sur la soie des pinceaux
s'aventure sans bruit
vers d'étranges tableaux
où les couleurs se fondent
où les rives s'estompent
Quand s'entrouvre la nuit
elle inscrit les lambeaux
de rêves déchirés
d'espoirs désertés
puis sur la toile fine
lentement imagine
ritournelles rengaines
berceuses mélodies
(extrait)
ibid p.77
Ainsi viennent parfois les mots aux êtres fervents.
Sabine Péglion est professeur de Lettres et poète, en banlieue parisienne. Sa poésie a fait l'objet d'un précédent article, rédigé par Pierre Kobel et paru sur La Pierre et le sel, en décembre 2017 ( voir plus bas le lien internet ).
Elle nous entraine, ici, dans une méditation à propos du sens de la vie, que nous faisons volontiers nôtre :
Que sais-tu
de ces eaux
embarquées dormantes
sur les rêves des rives
de ce fleuve
aux calanques de nuages
éparpillant le jour
Que sais-tu
des écueils
écartés pulsation
à fleur de la détresse
de ces nacres
cueillies sur les collines
tussilages en fossiles
Que sais-tu
de la mauve
s'ouvrant et se mêlant
aux lambeaux de la nuit
de ces barges
à l'étrave éclatée
lourdes de sable gris
Que sais-tu
de ces traces
s'écorchant à la brume
en filaments d'argent
de l'absence
des passants en allés
au chemin de halage
Je ne sais rien
que la rumeur de vivre
ces notes déchirantes
sur la paroi du temps
que nos jours qui dérivent
dans le bleu de l'instant
in Faire un trou à la nuit, éditions La Tête à l'envers, 2016, p.p.20/21
Chacun sait par contre que l'envers de la nuit n'est pas toujours rose, mais "peu importe la nuit, il faut nager plus loin, peu importe ce vide puisqu'il faut s'y résoudre," insiste le poète, déployant sous nos yeux une force d'âme exceptionnelle, force qui contraste avec son apparence physique toute de féminité et de fragilité.
Apaise-toi, voici le temps venu de trouver, d'accepter d'autres lumières vers d'autres terres. Les terres fécondes de l'écriture poétique tracent le chemin d'une espérance retrouvée.
Ce recueil, construit d'après le sens de la lumière et la part du vent, fait une place majeure au courage mais aussi à l'acceptation, l'une des qualités les plus rares au monde.
Elle ne refuse pas
l'errance des fougères
l'empreinte des marais
l'arabesque des joncs
et cette odeur fragile
des crépuscules muets
Elle ne refuse pas
l'envol des crécelles
l'attente du héron gris
ce froissements des ailes
à l'envers de leurs cris
la poussière des routes
les lueurs incertaines
l'amertume du doute
les blessures les remords
la fêlure du corps
Elle ne refuse pas
la poursuite des mots
ce goût de fer acide
trouvé au fond des eaux
Enfouissant sa bouche
à la lisière des plantes
elle laisse glisser en elle
le sommeil de la lise
la clairière de l'instant
l'espérance d'un chant
l'horizon qui bleuit
imperceptiblement
ibid p.p.79/80
L'auteur fait partout un usage intensif de verbes à l'infinitif, des verbes d'action, propres à nouer des liens, tels accueillir, conjurer, traverser, persister, dans une ouverture à l'autre communicative.
Nommer
pour conjurer le vide
pour accueillir la lumière
d'une présence
Nommer
pour traverser le pont
de l'absence
Saisir cet instant
près du jour
évanescence d'une ombre
dont on suit les contours
Les branches de l'arbre
accrochent le silence du ciel
On navigue en cet enclos
de ramures en mâtures
On persiste on s'avance
ibid p.84
Le lecteur se laisse peu à peu gagner par cette forme d'espérance retrouvée, sereine et communicative, qui fait de ce recueil un livre de chevet.
Pas à pas, dans les pas du poète, il persiste et avance, tentant de mieux vivre au rythme de sa propre histoire.
Bibliographie:
- Faire un trou à la nuit, Sabine Péglion, éditions La tête à l'envers, 2016
- https://www.terreaciel.net/Sabine-Peglion#.W-QQBjHQbwo
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2017/12/sabine-p%C3%A9glion-%C3%A9crire-pour-inventer-la-vie.html
- https://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=1049
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