Pollen
Qu'est-ce que je fais de ma vie ? J'attends.
quand soufflera le vent je laisserai les racines pour faire
le chemin du pollen.
in Les coupures invisibles, Todo ajeno, traductions de l'espagnol de Stéphane Chaumet,
éditions Al Manar, 2015, p.55
Ces instants dorés de l'année, qui correspondent au renouveau et s'accompagnent de parfums, senteurs, et pollens, j'ai dû les fuir trente ans durant, en hyper-allergique que j'étais, condamnée à passer la belle saison entre quatre murs pour éviter la suffocation. Avec l'âge, cette "intraitable allergie" m'a quittée...et je lui en suis infiniment reconnaissante.
mon corps a changé de cours.
je suis entrée dans le souvenir.
là où la lumière ne sert plus.
j'avais laissé un chemin
de mie de pain.
mais j'ai cédé à ma tentation
j'ai appelé les oiseaux.
ibid Balbuceo de la noche p.45
j'ai cru devoir accumuler des voix
pour composer le cri exact
et frôler avec lui tout ce qui existe.
mais respirer à suffi.
ibid p.47
Par bonheur j'ai appris, comme le dit l'auteur, que :
Écrire c'est aller vers la blessure pour la soigner avec du poison.
Les dieux lèchent des poèmes et crachent des prières.
Quand je n'écris pas je trouve mon reflet dans l'œil aveugle
d'un cheval. Ma mère ne voit pas les phrases que j'ai tatouées
sur mon ventre.
ibid p.57
Née en Biélorussie, en 1986, argentine d'adoption, Natalia Litvinova est éditée principalement en Espagne. Nous devons aux éditions Al Manar cette parution en version bilingue espagnol-français.
L'originalité du verbe, la révolte et la cruauté du ton traduisent peut-être les tourments d'une âme russe et les violences subies encore par les femmes, en pays latins. L'auteur, immigrée, vit en Argentine depuis l'âge de 10 ans. L'audace, qui l'habite, lui fait dire: "en marge de cette feuille s'écrit ma vie, et elle a peur et se cherche poésie".
Coupure
Certains hommes ont la délicatesse brute des oiseaux.
Pour me regarder ils ouvrent l'air, effilochent le vent.
Si je m'approche d'eux, si je réussis à m'approcher,
ils me feront une coupure invisible.
**
Dressage
Que font les hommes de mon passé,
quelles villes détruisent-ils ? Quand un cheval sans cavalier
traverse le champ, je vois dans son regard qu'ils l'ont domestiqué.
Que font-ils loin de moi ? Et pourquoi je les cherche
dans les yeux sauvages des animaux ?
ibid Todo ajeno, p.67
Une voix à suivre absolument pour son audace quotidienne!
touche la fleur et ta peau s'ouvrira.
touche les déchets de la veille comme nourriture du lendemain.
touche les ailes des mouches, aime leur certitude.
touche le vocabulaire de n'importe quel souvenir.
touche ta propre nuit, son obscurité protège.
touche, touche, touche.
ibid Balbuceo de la noche p.45
Une démarche qui rejoint celle de nombre d'amies poètes, amoureuses du toucher !
Bibliographie:
- Natalia Litvinova, Les coupures invisibles, Anthologie, Al Manar, 2015
sur internet:
- un article rédigé en espagnol http://www.elcultural.com/blogs/rima-interna/2016/11/natalia-litvinova-creer-en-la-poesia-2/
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