ART POÉTIQUE
Un sentier s'aventure
La nuit parmi les dunes
Pour tenter ce que j'ose
À ma table immobile
S'orienter sur un phare
Prendre un relais d'images
Avancer d'un poème
Se trouver pour se perdre
Semer quand le vent souffle
Un sable de lumière
in Les étreintes invisibles, L'herbe qui tremble, 2016, p.69
Le décor est posé, le poète est à sa table, immobile, attentif à ce qui pourrait advenir...un sentier s'aventure et nous, ses lecteurs et futurs disciples, nous aventurons avec lui :
LE DISCIPLE
Grain à grain
Les joies les peines
Le chapelet des journées
Soudain dans le vent le sablier
Se renverse
Les portes du cénacle
Claquent
Pourtant elles étaient
Bien fermées quand
Je fus happé
Par la lumière
ibid p.76
L'évènement relève, semble-t-il, d'une "Pentecôte". Un feu secret court sous la plume du poète et, tandis que le vent souffle et sème sur la page un sable de lumière, l'invisible se dévoile.
CELUI QUI VIENT
Le visiteur ne soulève pas
Le heurtoir de la nuit
On entend juste un souffle derrière la porte
Parfois des mots se mêlent
Au chant du vent
Aux peurs de la pluie
Premier levé je ne trouve
Sur le seuil qu'une infime
Trace de fleur
Une empreinte de bonté
Je sais qu'il va revenir
ibid p.77
Un souffle derrière la porte, une trace de fleur, une empreinte de bonté, ces trois magnifiques images chargées d'une ineffable présence, surgissent tandis que, tous ses sens en alerte, Gérard Bocholier accueille l'instant.
DANS LE TEMPS
Qu'a-t-il fait de sa vie ?
La question vite s'élude
Il savoure les joies de l'instant
Le feu des paumes
Retrouve le pollen du tilleul
Les touffeurs de juin dans l'école
Pourtant la guêpe égarée
Dans l'orage va périr
Le lis fleuri pleure déjà
Une larme rouge
ibid Les étreintes invisibles, Attentions, L'herbe qui tremble, 2016, p.23
Né en 1947, Gérard Bocholier vit à Clermont-Ferrand. Il dirige la revue de poésie ARPA. Il est aussi responsable de la rubrique poésie dans l'hebdomadaire "La Vie". Sous une apparente simplicité sa poésie traduit une profonde spiritualité et une approche respectueuse du vivant.
Les oiseaux y tiennent une place privilégiée :
AUX OISEAUX
Ayez un peu d'espoir pour nous
Sinon de souvenirs
Vous avez chanté avant que l'aube
Incise les voûtes
Sûrs de sa venue
Avant que la lumière
Baigne vos nids et les branches
Votre gosier déjà fleuri
Des éclosions du jour
ibid Étreintes, p.60
UNE LEÇON
Ce qu'il reste à apprendre
Ne prend aucune place
Ou comme une nervure
Un fil entre deux herbes
Dans le chœur des sittelles
Un chant d'action de grâces
L'humble consentement
Du jardin sous l'averse
La confiance de l'aube
Plus forte que la mort
ibid Étreintes, p.80
Dans un autre chapitre de ce livre, le poète écrit à partir d'un vers de ceux qu'il appelle ses Frères de lumière, Verlaine, Pierre Reverdy, Jules Supervielle, Guillevic, Pierre-Albert Jourdan, et parmi d'autres, Gustave Roud – présenté sur Le Temps bleu, la semaine précédente, ainsi qu'Anne Perrier, sa congénère suisse.
Ces poètes sont à son image proches de la nature, attentifs à ses manifestations les plus humbles et les accueillent comme les signes ténus d'un mystère caché. Puissions-nous en faire autant.
GUSTAVE ROUD
Ô cet aguet ce dernier piège de l'éternel
Cette houle des blés qui naît et meurt
Au plus chaud du jour
Sous les arbres un frisson une haleine
Une ondée de sueur qui monte
Vers le ciel suave encens
Que la terre amoureuse
Voudrait boire de toutes ses fibres
ibid Frères de lumière, p.46
ANNE PERRIER
Maintenant qu'on me laisse partir
Dans les halliers profonds du jour
Là où les corolles ne perdent
Rien de leur blancheur éblouissante
Avec les âmes de ceux qui prennent
Leur vol vers le grand arbre invisible
Où les oiseaux du paradis s'assemblent
ibid Frères de lumière, p.55
L'important en poésie, comme dans la vie, n'est-il pas de se laisser séduire et de consentir à ce qui vient ?
CONSENTIR
Je suis un veilleur qui renonce
Par grand vent ou par grande nuit
Je n'ai plus guère qu'une lampe
Vacillante et quelques brindilles
Il ne faut qu'un peu d'infinie
Beauté pour que je m'abandonne
Que je laisse grandir en moi
Son inépuisable incendie
in Étreintes, p.68
Ce dernier poème résume magnifiquement, selon moi, l'essentiel de toute démarche poétique.
Bibliographie:
- Les étreintes invisibles , L'herbe qui tremble, 2016
- http://www.la-croix.com/Gerard-Bocholier-Le-poeme-bord-silence-priere-2017-03-02-1200828905
- http://www.arfuyen.fr/bocholier.html
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