Montaigne et La Boétie furent unis de leur vivant par une amitié passionnelle, qu'expliquait ainsi Montaigne au chapitre 1 des Essais :"parce que c'était lui, parce que c'était moi." Max Jacob de son coté affirmait que "l'amitié était le clou, où était pendue sa vie". Byron lui pensait que "l'amitié , c'est l'amour sans ailes".
D'autres poètes par contre ne l'évoquent jamais. À chacun de l'apprécier à sa mesure et selon son siècle.
LES DEUX AMIS
Deux amis vivaient au Monomotapa.
L'un ne possédait rien qui n'appartint à l'autre.
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil
Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les valets.
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit :" Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme
À mieux user du temps destiné pour le somme.
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ?
– Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point.
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause."
Qui d'eux aimait le mieux ? que t'en semble lecteur?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.
(Fables VIII, 11.)
Jean de La Fontaine (1621-1695)
in Mille et cent ans de Poésie Française chez Robert Laffont 1991, p.772
LES AMIS INCONNUS
Il vous naît un poisson qui se met à tourner
Tout de suite au plus noir d'une lame profonde,
Il vous naît une étoile au-dessus de la tête,
Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux
Que ses sœurs de la nuit, les étoiles muettes
Il vous naît un oiseau dans la force de l'âge,
En plein vol, et cachant votre histoire en son cœur
Puisqu'il n'a que son cri d'oiseau pour le montrer.
Il vole sur les bois, se choisit une branche
Et s'y pose ; on dirait qu'elle est comme les autres.
Où courent-t-ils ainsi ces lièvres, ces belettes,
Il n'est pas de chasseur encore dans la contrée,
Et quelle peur les hante et les fait se hâter,
L'écureuil qui devient feuille et bois dans sa fuite,
La biche et le chevreuil soudain déconcertés ?
Il vous naît un ami, et voilà qu'il vous cherche,
Il ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux,
Mais il faudra qu'il soit touché comme les autres
Et loge dans son cœur d'étranges battements
Qui lui viennent de jours qu'il n'aura pas vécus.
Et vous, que faites-vous, Ô visage troublé,
Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux,
Vous qui vous demandez, vous, toujours sans nouvelles ;
" Si je croise jamais un des amis lointains
Au mal que je lui fis, vais-je le reconnaître ? "
Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence
Et les mots inconsidérés,
Pour les phrases venant de lèvres inconnues
Qui vous touchent de loin comme balles perdues,
Et pardon pour les fronts qui semblent oublieux.
( Les Amis inconnus)
Jules Supervielle (1884-1960), ibid P.1473/1474
LETTRE À DES AMIS PERDUS
Vous étiez là je vous tenais
Comme un miroir entre mes mains
La vague et le soleil de juin
Ont englouti votre visage
Chaque jour je vous ai écrit
Je vous ai fait porter mes pages
Par des ramiers par des enfants
Mais aucun d'eux n'est revenu
Je continue à vous écrire
Tout le mois d'août s'est bien passé
Malgré les obus et les roses
Et j'ai traduit diverses choses
En langue bleu que vous savez
Maintenant j'ai peur de l'automne
Et des soirées d'hiver sans vous
Viendrez-vous pas au rendez-vous
Que cet ami perdu vous donne
En ce pays du temps des loups
Venez donc car je vous appelle
Avec tous les mots d'autrefois
Sous mon épaule il fait bien froid
Et j'ai des trous noirs dans les ailes
René-Guy Cadou ( 1920-1951 ) in Poésie La Vie entière, Pleine Poitrine, Seghers 1977,
p.175
AMITIÉ
Elle m'a fait vivre, presque autant que l'amour. Elle est pour moi spécialement liée à la
littérature, notamment par l'intermédiaire de la correspondance. Voyageant, la présence
de mes amis devenait surtout épistolaire. Voyant leur écriture, c'est comme si je les voyais.
Le téléphone parfois me fait entendre leur voix, mais c'est autre chose. Verba volant,
scripta manent. J'ai besoin de sentir autour de moi ces oreilles attentives, ces regards
bienveillants. Je leur ai souvent soumis mes textes avant de les publier, et ils m'ont été
incroyablement utiles. Et si je publie, c'est en grande partie pour aller à la recherche,
au milieu d'une foule hostile, de quelques amis inconnus. Il en est que je n'ai jamais vus,
d'autres une fois seulement ; leur rencontre ou nouvelle rencontre serait bouleversante.
Cela m'est arrivé parfois. Leur disparition est un drame ; malgré la présence des autres,
proche ou lointaine, je suis renvoyé à ma solitude. Je voudrais les remplacer, mais c'est
impossible ; les nouveaux joueront un rôle différent, aussi nécessaire à ma survie.
Michel Butor, (1926-2016), Correspondance avec G.Perros, Ch.Dotremont, F.Y.
Jeannet, in Michel Butor par Michel Butor Seghers Poètes d'aujourd'hui 2003, p.8
à Catherine de Seynes et Jean Bazaine
Revenez mes doux amis
J'aurai pour vous
des mots encore plus simples
J'aurai pour vous
ces racines que je me gardais
pour les mauvais jours
de l'indifférence humaine
J'aurai pour vous
ce pan de ciel
non révélé
où je fais et défais
les saisons torrides du dire
où Dieu prend ombrage de ma puissance
J'aurai pour vous
la fontanelle de mes paumes
étalées sur les étoiles
Je vais vous dire ma palette
cri Noir d'alerte saccadant l'inaudible
blanc solennel dardant l'éphémère
Jaune miel reclus dans ma luette
Bleu blême transperçant la transparence
Vert irradiant les marches nocturnes
Rouge taraudant la pacotille des idées
Gris déposant sur l'horizon
l'œil vibrant de l'aurore
Rose des vents alliés
soufflant les rides du monde
Des mots
de pauvres mots
pour dompter le taureau invisible des nuées
Abdellatif Laâbi (1942 ) in Œuvre Poétique 1, Pâturages du silence, Éditions La
Différence. p.308
Jeannet, in Michel Butor par Michel Butor Seghers Poètes d'aujourd'hui 2003, p.8
à Catherine de Seynes et Jean Bazaine
Revenez mes doux amis
J'aurai pour vous
des mots encore plus simples
J'aurai pour vous
ces racines que je me gardais
pour les mauvais jours
de l'indifférence humaine
J'aurai pour vous
ce pan de ciel
non révélé
où je fais et défais
les saisons torrides du dire
où Dieu prend ombrage de ma puissance
J'aurai pour vous
la fontanelle de mes paumes
étalées sur les étoiles
Je vais vous dire ma palette
cri Noir d'alerte saccadant l'inaudible
blanc solennel dardant l'éphémère
Jaune miel reclus dans ma luette
Bleu blême transperçant la transparence
Vert irradiant les marches nocturnes
Rouge taraudant la pacotille des idées
Gris déposant sur l'horizon
l'œil vibrant de l'aurore
Rose des vents alliés
soufflant les rides du monde
Des mots
de pauvres mots
pour dompter le taureau invisible des nuées
Abdellatif Laâbi (1942 ) in Œuvre Poétique 1, Pâturages du silence, Éditions La
Différence. p.308
Pour ceux qui ont la chance de la partager, l'amitié demeure essentielle et donne couleur et sens à la vie. Si cependant elle venait à manquer ces mots de Marie Noël, tirés des Notes intimes, voudraient nous réconforter.
Il arrive que nous cherchons, dans notre ami, la consolation et qu'elle ne s'y trouve pas
aujourd'hui.
Il arrive que nous ayons soif et que la tendresse de notre ami oublie aujourd'hui de nous
donner à boire.
C'est que la source de douceur humaine n'est pas inépuisable. Le consolateur a, comme
nous, son heure de sécheresse. Celui qui nous donne la force manque aujourd'hui de force.
Celui qui relève notre joie est tombé, aujourd'hui, de sa joie.
Comprenons-le. Ayons compassion à notre tour de cette pauvreté. N'exigeons rien. Ne
réclamons pas sans cesse de l'amitié, de la bonté, le plus dont elle est capable, mais soyons
toujours reconnaissants pour le moins dont elle dispose...le peu qu'elle a et nous donne.
Et sachons attendre. L'instant vient où la grâce de l'ami lui sera rendue et nous sera
rendue.
Il arrive que nous cherchons, dans notre ami, la consolation et qu'elle ne s'y trouve pas
aujourd'hui.
Il arrive que nous ayons soif et que la tendresse de notre ami oublie aujourd'hui de nous
donner à boire.
C'est que la source de douceur humaine n'est pas inépuisable. Le consolateur a, comme
nous, son heure de sécheresse. Celui qui nous donne la force manque aujourd'hui de force.
Celui qui relève notre joie est tombé, aujourd'hui, de sa joie.
Comprenons-le. Ayons compassion à notre tour de cette pauvreté. N'exigeons rien. Ne
réclamons pas sans cesse de l'amitié, de la bonté, le plus dont elle est capable, mais soyons
toujours reconnaissants pour le moins dont elle dispose...le peu qu'elle a et nous donne.
Et sachons attendre. L'instant vient où la grâce de l'ami lui sera rendue et nous sera
rendue.
Marie Noël in Notes Intimes, 1920-1933, Éditions Stock, 2008, p.p.18/19
Nos amis les plus fidèles restent à jamais nos livres, il suffit parfois d'un poème pour que la vie soit plus légère et l'avenir moins gris.