Traverser son désert
y rencontrer ses peuples
ses tribus et ses fauves
Se joindre au mouvement
pour que rien ne s'y fige
en le cartographiant
Maintenir le serment
de ne rien attaquer
Et déplacer les dunes
par la seule ambition
de se relier ensemble.
in Où nos ombres s'épousent, Vivre l'absence, éditions Bruno Doucey 2016, p.25
Se re-lier ensemble, patiemment, comme celui qui assure une présence au-delà de la perte.
Reprendre d'un regard la marche de l'entre-soi, en s'économisant quand la lune décline, ne garder que les mots et puis les écouter.
Ce dernier recueil de Stéphane Bataillon, Où nos ombres s'épousent, Vivre l'absence, paru en juillet dernier aux Éditions Bruno Doucey, reprend et prolonge le premier, publié en 2010 par ce même éditeur.
Cette seconde édition enrichie marque le temps venu de vivre l'absence, de restaurer le sable sans rien figer, au jour le jour, en accueillant timidement les prémices d'une vie renaissante.
Le livre s'écrit à l'infinitif – comme ce qui ne peut finir – afin de :
Laisser monter le chant
pour rester au plus proche
de notre découverte
Espérer qu'un matin
on saura le reprendre.
ibid p.38
Annuler la distance
qui séparait des monstres
pour mieux les accueillir
Alors
l'ombre retrouve sa place
dans l'enclos du poème
Alors
la trêve est possible.
ibid p.35
Il n'est question ni de tourner la page, ni de changer de route mais de poursuivre et faire sonner le chant de l'inconditionnel, où nos ombres s'épousent et s'imposent comme autant de gages d'amour.
Cette démarche sera reprise dans Terres rares, son second recueil édité également par Bruno Doucey, en 2013.
Assurer chaque pas
en criant sa victoire
Et garder ses silences
pour les âmes conjointes
Pour qu'elles puissent rester libres
de nous accompagner.
ibid p.74
Dans cette édition de 2016, Stéphane Bataillon choisit délibérément de témoigner de son expérience du deuil, sous le titre de Poursuites. On ne poursuit que ce qui nous est vital et très cher.
2
L'expérience du deuil est signe d'une communion. Aucun
besoin de noms, de circonstances, de narration. Il y a,
puis il n'y a plus celle ou celui. Nous restons seuls. Mais
une présence fragile, qui pourrait rendre fou à hauteur
de l'amour porté, nous accompagne. Nous devons l'appri-
voiser, d'une lutte. Une lutte qui se joue derrière chaque
parole et que seul le poème, parole des paroles, peut
essayer de dire.
ibid Poursuites, p.99
3
Cette parole travaillée pour cercler le silence, le conte-
nir et l'accepter, a été pour moi la possibilité d'un après.
Je n'imaginais pas que ces poèmes puissent participer, et
de si nombreuses fois, au travail des autres. En séance de
dédicaces, c'est un simple "moi aussi, j'ai perdu" qui fait
nous reconnaître.
(...)
ibid p.99
6
Crier. Il faut réussir à crier. Un bon coup. Face au mur de sa
chambre. Face aux arbres. Face à la mer. À défaut, l'énergie
conservée se retourne contre soi et nous dévaste. Comme
une combustion lente. Comme le monoxyde de carbone,
invisible, indolore. Ce cri ne peut se libérer qu'en retrait.
Du monde, des autres. Qu'en rupture de soi, pour mieux
accompagner la voix au cœur des vagues.
ibid p.p.100/101
10
Être heureux, c'est faire, nous dit le livre de l'Ecclésiaste
dans l'Ancien Testament. C'est le sens même du verbe grec
" poiein", d'où dérive le nom poésie: créer, faire. Pas faire
l'amour, faire un dessin ou son travail, faire un gâteau ou un
sourire. Mais faire. Tout. Tout ça. Se mettre dans le mou-
vement des jours, accepter ce qui vient sans en attendre
plus. Sans l'héritage du temps. sans espérer demain.
ibid p.102
12
Il y a de l'amour, beaucoup, dans Où les ombres s'épousent.
L'amour d'elle. L'amour de celles et de ceux qui m'ont
accompagné durant ce long travail de redécouverte de soi,
jusqu'aux petits matins. Et puis il y a cette source, cette
source de larmes chaudes qui ne s'arrête jamais malgré les
embellies. Provoque des chocs thermiques qu'on peut ne
pas comprendre. Où sont les actes? Où sont les paroles?
Y-a-t-il un décalage? Et le poème naît. D'un geste un peu
magique, juste au pied de l'arbre.
ibid p.103
15
Le poème nous précède. Éclaire le chemin. sentier insoup-
çonné entre nos solitudes. L'ombre est aussi un lieu où
faire des rencontres. Où parler à voix basse sans peur des
tremblements. Où s'échanger l'instant qu'on ne souhaite
à personne. Parce que nous savons, d'un mot, que nous
sommes ensemble. Et que tout peut reprendre.
ibid p.104
Juin 2016
Parce que "l'amour est courage, il est aussi lucidité", "ce livre est avant tout œuvre d'espérance" écrit fort justement Jean-Marie Berthier dans sa postface, un sentiment que je partage pleinement.
Je souhaite à Stéphane Bataillon d'éprouver de plus en plus souvent, dans sa nouvelle vie familiale, l'apaisement possible qu'il mérite, en s'appuyant sur la force du temps, et la saveur de l'instant.
Comme une vibration.
C'est ça.
Quelque chose
comme une vibration
Qui relierait les mondes
Dont nous serions la source
Mais submergés.
in Où nos ombres s'épousent, p.75
Bibliographie:
- Où nos ombres s'épousent, Vivre l'absence, éditions Bruno Doucey, 2016
- Les terres rares, éditions Bruno Doucey, 2013
- https://www.youtube.com/watch?v=xnyv48AddZU&feature=youtu.be
- http://www.stephanebataillon.com/
- http://www.editions-brunodoucey.com/stephane-bataillon/
- http://temporel.fr/Stephane-Bataillon-poemes
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