Je gagnerai les zones d'ombre
et je ne serai plus qu'un filet de voix
– non pour rompre le silence des choses
mais pour mieux l'éprouver
à cette heure où la lumière parcimonieuse
écorne le dos d'un livre, où le visage
ovale du jeune duc de Saint-Simon
se détache seul – perruque
volatilisée – sur la carte postale
posée sous la lampe que je n'aurais pas allumée,
non,
si l'attention m'avait subjugué, me faisant
ombre sur ce carnet.
*
La nuit vient
et ce n'est plus du tout la même chose
de voir ces objets – encore, et noirs à contre-jour
l'ombre, tombée comme une goutte d'encre sur le buvard
les investit maintenant de dépendances indéfinies
et nos frontières ne les offusquent plus
eux qui vont de la pomme de pin au galet
si facilement, mon Dieu, si docilement
qu'il n'est pas vraiment nécessaire de s'en faire
pour toutes ces barrières
qui nous ont fait perdre une journée, encore une
à recenser ce qui se dissout de soi-même avec l'ombre
et chaque forme bouge et chevauche
le temps, l'espace, et t'invite, oui
à t'aplatir dans l'ombre
à te prendre à cette collecte de couleurs, de formes
qui s'ébranlent, comme une flotte
lentement s'écarte du rivage
et gagne les eaux libres de la mer.
24/10/1976
in Au jour le jour, Carnets 1974-1979, éditions Le Temps qu'il fait, 1986, p.62/63
La voix de Paul de Roux, intimiste entre toutes, s'est définitivement éteinte le 28 août dernier, comme nous l'apprend Poezibao, mais pour nous, poètes, elle a gagné "les eaux libres de la mer.
Demeure ce pincement au cœur et notre plus bel hommage est bien de le relire et de le faire partager.
Du retrait et de l'ombre, dans l'instant suspendu qu'est le poème, Paul de Roux parlait mieux que personne, comme s'il voulait nous familiariser avec la perte et son insondable mystère .
(...)
Je suis là, je vois ces choses
et cette vue va passer, cet instant
– au jour dernier, et pour toujours
sera-t-il rendu ?
ou est-il vain ?
ou est-il feuille
morte pour quel terreau
quelle graine, quelle fleur inconnue ?
et je suis sur ce pont
sur cette lame de rasoir de la vue
et je franchis le pont
l'œil fixé sur l'écume
à la crête de l'eau qui passe.
28/10/ 1976
À nous de goûter la profondeur d'une voix qui résonne bien au delà de la mort.
bibliographie:
- Au jour le jour, Carnets 1974-1979, Le Temps qu'il fait, 1986
- http://poezibao.typepad.com/poezibao/2016/09/%C3%A9v%C3%A8nement-la-disparition-de-paul-de-roux.html
- un article de Roselyne Fritel sur http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2014/05/paul-de-roux-si-je-n%C3%A9cris-pas-je-me-d%C3%A9fais.html
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