Port des Barques

Port des Barques

vendredi 19 juin 2015

Daniel Martinez, "La croisée des saisons"

Béatrice Marchal, poète et présidente du Cercle Aliénor, vous propose la recension qui suit du dernier livre de Daniel Martinez, La Croisée des saisons, aux éditions du Contentieux, 2013 .
Daniel Martinez est aussi le maître d'œuvre de la revue trimestrielle Diérèse, entièrement consacrée à la poésie.


Dans La Croisée des saisons, Daniel Martinez rejoint et prolonge l’interrogation proustienne,
            celle du « temps perdu […] sa hantise et son tremblement ; car le goût du bonheur ne suffit  
pas ». Comment donc « [s’]inscrire en faux contre l’oubli de l’être », l’usure inexorable du 
désir, sinon par l’écriture, puisqu’écrire, c’est «reconnaître son chemin, pour en redessiner le 
parcours à sa guise », ce qui équivaut à « aller vers son enfance, résolument ». Renouer avec
« l’autre que je fus » devient en effet la chance de percevoir le monde autour de soi « à juste
hauteur d’accomplissement », une fois « l’identité personnelle dissip[ée], le moi estomp[é] »,
une fois que le corps – et l’esprit ! – ne sont plus « empêtrés » de leurs pesanteurs,
d’aveuglements tissés par les logiques de tout crin. On retrouve alors « le feu simple des vies
simples arrachées au rien », rendues à « l’Immense ». L’innocence, avec laquelle
précisément, par son attention aux « basculements imprévus de la conscience, du passé au
présent, et vice-versa », tente de renouer le poète, c’est « de garder l’attrait ou la fraîcheur de
la première fois », c’est « d’en rester à cette impression première qui tout régit », et cela en
« s’en remett[ant] à l’élan vital, qui […] aimante à lui seul la plénitude du présent ». Une
conversion est toutefois nécessaire, celle de « l’œil [qui] se tourne en dedans » et restitue un
monde, qui pour être invisible n’en est pas moins réel ; conversion source de la joie, « une
façon d’approcher le sans-nom ». Car cette joie accompagne « l’irruption soudaine d’un
instant élu », qui est aussi « l’irruption obstinée de l’objet, dans ses méandres successifs, de
chair et d’encre à la fois, sous la vague conscience que nous pourrions en avoir, notre vécu ».
Voilà bien toute la puissance qu’aura, contrairement à la langue « choisie pour elle seule », la
« voix dans la voix », une fois trouvée et avec l’aide des images : « Où l’opaque espace des
mots se défait, la matière de nos vies, comme l’âge des neiges. Posée au bord de l’encrier :
gris-noir ».

          Dès lors, loin de ceux qui, dans un divertissement multiple et constant, s’ingénient à « tuer le
          temps », le poète peut dire : « j’en suis à goûter le temps échu », et son lecteur, quant à lui,
          goûter l’évocation des lieux évoqués, des splendeurs ensoleillées de Djerba aux charmes d’une
          pluvieuse montagne suisse. Telle est, proposée dans ces trois textes courts et denses, Noir et
          Sang, Le Point sensible, Le Point de chute, qui composent La Croisée des saisons, la réponse
          de Daniel Martinez à la question du sens et de la vie.

Béatrice Marchal





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire