Port des Barques

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vendredi 10 janvier 2020

Jacques Ancet, le temps d'un poème



Parfois, il suffit d'ouvrir un recueil de l'un de ses poètes préférés pour croire un instant à l'impossible :


         On se dit que si la lumière revient, il sera là,
        tout près. Son rire scintillera dans la flaque de
        soleil, passera de fleur en fleur, d'aile en aile.
        On se dit qu'on l'entendra parler encore dans les
        cris et le vent, dans ce bruit des pages tournées
        où ses mots ouvrent le jour. On se dit. L'herbe
        pousse presqu'à vue d'œil. La giroflée tremble,
        les poiriers montent en neige. On se dit que
        c'est le printemps et que c'est comme s'il était là.


        ON VOIT TOUJOURS les yeux brillants, les
        mains tendues. On voit le sourire. On sent les
        bras qui vous serrent, la chaleur de l'étreinte.
        Ensuite, on ne voit plus. On ne sent plus. On a
        un vide dans les yeux et trop d'air entre les doigts.
        Un pâle soleil traverse la vitre. On ne sait plus
        si on est là, ou là-bas. La pièce est blanche. On
        voit le même soleil, mais les mains sont posées,
        immobiles. La bouche est entr'ouverte.
        On n'entend rien qu'un peu de souffle éparpillé.
        Quelqu'un s'en va. On s'approche. On ne sent
        plus la chaleur. On ne voit plus les yeux.

                                           *

        Il disait Que disait-il? On voudrait l'écouter
        encore. On n'entend que des morceaux de phrases,
        des mots, quelques bribes qui s'en vont avant
        qu'on ait pu les retenir. Et, pourtant, le silence
        a gardé une empreinte de voix. Elle est sourde,
        elle est tendue, un peu rauque, parfois. On ne
        sait plus si elle lui appartient ou si elle vient de
        trop loin pour qu'on puisse la reconnaître. Elle
        a des rires, des cris. Elle a des yeux qui luisent,
        la lumière et les larmes, des éclats de visages.
        Était-ce elle qui disait : dans ma voix toutes les voix?
        Était-ce lui?

        in Puisqu'il est ce silence, prose pour Henri Meschonnic, Jacques Ancet,
        Les éditions Lettres Vives, 2010, p.p.37/38
  
 Jacques Ancet rédigea ce long et bouleversant poème d'adieu, en hommage à son ami et poète, Henri Meschonnic, décédé en 2009 .

Pour en savoir davantage à propos de Jacques Ancet, je vous engage à lire l'article écrit par Jacques Décréau, paru sur La Pierre et le sel en 2013, sous le titre : Jacques Ancet, de l'infime à l'imperceptible, dont voici le lien:
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/02/jacques-ancet-de-linfime-%C3%A0-limperceptible.html

Bibliographie:

  • Jacques Ancet, Puisqu'il est ce silence, prose pour Henri Meschonnic, Les éditions Lettres vives, Collection Terre de Poésie, 2010.


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