Le ciel en octobre raconte le grand fleuve.
Il fait encore chaud pour la rentrée des classes.
Ruissellent les jours les heures.
On y pêche un ciel en attente. L'ange
Les nuages les pensées l'abandon.
L'eau raconte le grand fleuve
sous la paille sous les mimosas.
C'est un drap suspendu et qui rit.
Plus vaste que ma vision. Plus serein
que la remorque des grues couronnées
Plus souverain que les choses pastorales.
Menues sont les mailles des filets
pour un ciel qui bombe le torse sous les oiseaux.
Il file doux ; le cormoran n'agite plus les eaux.
J'attends l'accord que prononcera
le martinet, le grand soigneur du soir .
Il y aura le ciel le fleuve l'espace.
J'attends leur accord de tétrarque.
L'eau coule sur un visage de bonne augure.
Le grand fleuve sous octobre se raconte.
in J'aurai un royaume en bois flottés, Art Poétique, Anthologie personnelle, 1989-2016,
Poésie /Gallimard, 2017. p.50/51
De son vrai nom Nimrod Bena Djangrang est le fils d'un pasteur luthérien. Il naît le 7 décembre 1959, à Koyom, dans le sud du Tchad. Il dira plus tard de son village qu'il fut le seul où tous les enfants aient été scolarisés.
Dans la bible, Nimrod descend en droite ligne de Cham, le deuxième fils de Noé, il y figure comme un personnage biblique de l'après déluge, chasseur réputé et fondateur du premier royaume et de plusieurs villes de Mésopotamie.
Notre poète choisira par la suite d'entrer en écriture sous ce vocable prometteur et sonore.
Faisant des rêves éveillés et des sensations de son enfance un inaltérable trésor, il écrira :
"J'aurais un royaume tout à moi en bois flottés. Une rivière de diamants en désespoir de cause. Dans le chambranle de la lumière, je ravauderai la porte."
II
J'ai aimé ma mère j'ai embrassé son destin
Comme un fils comme un mendiant
Qui priait en secret les dieux d'allonger
Ses jours à proportion des miens. Je l'aime
Comme un exilé saisi par la douleur d'espérer
Les vœux qu'on remise à peine nés
Au fond d'un cœur taillé pour le bonheur.
Au sort, ma mère présentait des comptes
Sans envier personne ni même la lune
Ni même le soleil elle qui était
Courageuse sans être mère courage.
Je pleurais en la voyant si sereine
Moi que tourmentaient les pressentiments
En cette zone de l'être où naît un cœur de poète
ibid Ciels errants, p.80
La mère, le père, le grand frère sont autant de personnages vénérés dans la culture africaine. Nimrod évoque son enfance d'une façon unique avec une richesse de vocabulaire éblouissante et une parfaite maitrise du français, avec des mots qui rappellent les premiers poèmes d'Éloges de Saint-John Perse.
Certains jours, avec une insistance sans pareil me revient
Mon enfance dérobée
Les routes désertes sans témoin calme plat
Ce cœur cet espace enivrés au phosphore
Mon épitaphe est déjà écrite
(extrait)
ibid p.84
Je t'apprendrai ces pays avares en paroles
Où la langue s'attache au palais
comme aux épines d'un verbe osseux
Je t'apprendrai ces contrées lourdes
De silence et d'espace, où le cri opère
Où midi patiemment milite
Vigilante étant la soif –
ibid Pluies, etc...p.129
Ainsi revient le motif des harmoniques.
Je songe à toi, Faya-Largeau, à tes murs ocre et blanc,
À tes femmes et leurs lèvres désireuses. Sur les pas
Des portes, elles nous accueillent le cul à terre.
Dunes fortes de leur réserve, Tibesti, à l'horizon
Des dattiers, tu ponctues le charroi du sable.
Ah, la "déshérente" richesse et son essaim d'avoine !
Montagne, voici que je dandine entre deux bosses taciturnes,
Sollicitant, en aveugle, la grâce de mourir en apesanteur.
Je cultive le plaisir à bride abattue.
ibid Tibesti, p.p. 132/133
L'évocation de l'Afrique avec l'éléphant majestueux, dont il fait son totem protecteur, s'oppose alors à son vécu en métropole au cours d'un hiver glacial passé au coin du feu dans ces deux poèmes, qui figurent face à face sur une double page, au chapitre Les superbes :
L'éléphant Ma Véranda
J'ai souvenir de cet éléphant Moi le pauvre de ce canton
Qui s'éloignait comme se déploie Je tiens en haute estime
Le dédain. Il avait vu Cette pauvreté qui m'a laissé
Senti évalué le petit point Libre de toutes obligations
Dans l'espace que j'étais L'hiver me rappelle
Ça n'entravait ni le ciel ni l'herbe Au confort bourgeois
Pas plus que l'infini qui au loin Assis là près de mon poêle
Témoignait de ce qu'on se serait dit J'écris un poème
Moi qui éprouvais si fort Sur l'or qui court
L'écho d'une parole commune Dans l'herbe jusqu'au
Pied du grand tilleul
ibid Les superbes, p.94 ibid Les superbes, p.95
La solitude poignante de l'éléphant évoque à l'évidence la sienne : le destin mien n'a pas résisté au dépeçage. Lui reste l'allure, métronome des émotions. La douleur, cependant, n'a pas réussi à le vaincre. Chaque jour, l'éléphant s'éloigne, s'éloigne mon autoportrait…
Il est toujours cruel d'être amené à rompre avec ses origines. La plaie masquée, qui s'en suit, demeure inguérissable malgré tout l'apport d'une double culture.
8
Qui me redonnera l'odeur de la maison d'enfance
Ses murs maculés de mes peintures naïves
Cette feinte fraîcheur cette réelle présence
Quand la pénombre devient une amie de haut lignage
J'inhale une forme d'angoisse sans lendemain
Dieu est mon orgueil je ne manquerai de rien
Toutes les peines du cœur ne valent pas
La douleur d'avoir à composer avec le soleil
L'espérance l'usure la pensée – quelle barbarie faite
Aux murs quel danger gravé sur leur partition
J'inhale une forme de bonheur sans raison
9
C'est toujours près des murs que la vieillesse survient.
Près du grand âge – et sa dîme de paille, sa redevance de
bonheur rapaillé. Le sourire édenté d'une grand-mère se
réchauffe au soleil de décembre comme un lézard, le lézard
le véloce...Grand-mère l'enlève d'une main attendrie, qui
est l'art de sourire des vexations. Et quand tu reviens à la
maison sous le coup de dix heures, quand la faim te creuse,
révélant quelque chose en toi de très vieux, mais que tu
accueilles dans l'accueil que te fait grand-mère, tu éprouves
le sentiment du retour, l'abandon qui est le retour au cœur
du pays patient. La paille vient reposer à tes flancs comme
une attelle.
Car les dieux sont là, au milieu des gens de peu, des gens
de paille, ceux qui n'ont ni discours ni recours à la pensée,
et qui se contentent du mur chaud où ils réchauffent leurs os.
(extrait)
ibid Les murs, p.p.189/190
La modestie, la culture et la chaude humanité de Nimrod nous valent ces merveilleux passages, qui dilatent le cœur et l'esprit et réchauffent le cœur.
Je vous conseille très vivement de lire également le très bel article de Jacques Décréau, écrit et paru en mai 2012, sur La Pierre et le sel, dont vous trouverez le lien internet plus bas.
Bibliographie:
- J'aurais un royaume de bois flottés, Anthologie personnelle 19896-2016, Poésie/Gallimard, 2017
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