Port des Barques

Port des Barques

vendredi 9 octobre 2020

Antoine Émaz, le temps d'un écart

     

      on est devant un éboulis

      on ne voit pas

      ce qui s'est écroulé

      sûrement pas des rêves

      cela ne laisserait pas

      ce tas de gravats

 

      comme des statues pilées

      dans les blancs-gris

      on ne voit pas quoi qui

 

       du chirico démoli

       en tas devant dedans

 

       pas d'angoisse juste

       qu'est-ce que c'est que ce

 

       rien ne remue plus

 

       une lumière mentale égale

       sur un rebut d'images

       in De l'air, I.V. Trajets dedans seul, le dé bleu, L'idée bleue, 2006, p.71

     

   Plus loin, dans le "Mou", la situation ne fait empirer:

         dans la pluie et le gris

         les ardoises luisent

 

         on descend doucement

         dans cette lumière venue du noir

                

         le temps n'a plus de poids

 

         on est sorti du cadre et passe

         de l'autre coté de l'agenda

 

         les repères mollissent

 

         on se distend

         ibid p.81

 

"Dans la lumière brute", "on ferait mieux de s'atteler à la semaine qui vient", suggère alors le poète, ivre et comme "allégé du dedans" :

         une plongée sans peur

         sans résistance interne

         une sorte de pente brusque

         et ça verse sans fin autour

 

         on ne bouge pas

         c'est le reste qui fuit

         poussé sur les bords

         où l'œil ne voit plus

 

         une force déblaie on est

         dans cette force

         on la nomme rire

        pour faire court

        il n'y a rien de drôle

        juste une surprise brusque

        d'être sorti en soi

        happé par un vide

        on le connaît

        mais d'ordinaire il est fermé

 

        le rire file dans cette part au-delà

        après ce qu'on peut voir

        avec les mots

 

       le plus proche serait peut-être

       le rire muet des carcasses et leur danse

       une sorte de transe

       jusqu'à plus rien que la lumière

 

       ce n'est pas tomber à n'en plus finir

       il n'y a pas de peur dans ce trajet

       cette boucle imprévue ou spirale

       jusqu'à la verticale du temps

 

      ensuite ça se défait on voit de nouveau

      coaguler les murs

      revenir les mots

      et l'ordinaire étroit du jour

                             ***

     on écrit sur ce retour

     au bout du rire

     il n'y avait pas de mots

     on en est sûr

     pas d'images ni souvenirs

 

      on a seulement été d'un coup

      désencombré d'être

      comme tout en vrac hors

      le linge sale d'une vie

      ibid p.p.78/79

À notre tour de tenter l'expérience du "vide" pour mieux profiter de l'insolite du moment.

Je vous invite vivement à lire ou relire deux beaux articles rédigés à propos de l'auteur. L'un de Jacques Décréau, paru sur La Pierre et le sel, en 2011, sous le titre: Antoine Émaz, "une poète lucide". L'autre de Jean Gédéon, paru également sur La Pierre et le sel, en juin 2012, et intitulé: Antoine Émaz, une poésie de peu.

Bibliographie:

De l'air, d'Antoine Émaz, paru chez Le Dé bleu, l'Idée bleue, 2006

sur internet:

https://remue.net/cont/emaz.html    

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