Les yeux oblongs du matin
Épousent la peau de la mer
Ô solitudes conjuguées
Avant l'appel des cloches
Mais pour quel départ…
Voici le roi et la reine
De mouettes parés
Et le vent qui monte
Leur fait référence
in Les façades, éditions Estuaires, 2009, p.12
Luxembourgeoise, née en 1942, professeur de Français, José Ensch s'est éteinte le 4 février 2008. Ce dernier recueil réunit des poèmes inédits, écrits entre septembre 2007 et janvier 2008. L'éditeur précise qu'elle en avait, elle-même, choisi le titre Les Façades.
Je découvre son œuvre peu d'années auparavant, grâce à un article de Poezibao, qui précise qu'elle fut une ardente lectrice de Saint- John Perse. J'acquiers par la suite plusieurs de ses recueils.
C'était la nuit à la gorge nue, à la gorge de cire loin du feu
Et elle marchait dans le noir, lentement, dans le souffle qu'il
prend à chaque pas
C'était la nuit à la nuque de tige et de fleur, à la nuque de ciel
si haut que nulle main ne la touche
Ô l'absence du temps ! Vertiges sur les cailloux des pentes et
ces désirs de fruits, mots ronds comme la lune,
la lune qui ment sur ses portées de silence, fragile faïence sur
l'aube déroulée…
in Le profil et les ombres, poèmes, Librairie bleue, 1995, p.61
D'une voix âpre et sensuelle, l'auteur affronte les éléments comme s'il s'agissait de ses propres dilemmes.
Quelqu'un parle à l'air
et au vent
quelqu'un dedans
et qui ne sait pas
Ô défunte dans les glaces
et les jungles
quelqu'un se fend
au cri des mouettes
Il est l'ombre
et la cime
il est l'air
et l'océan
Et quand le ciel avale
son plaisir
c'est un œil qui se rompt
comme un pain dernier.
ibid p.27
Gisèle Prassinos écrivait au dos du précédent recueil : José Ensch, à quinze ans, était déjà poète. mais pour elle seule, elle ne montrait pas ses vers. Ce fut seulement après trois années d'amitié qu'elle osa m'en proposer à lire, tant elle doutait de son talent . Aujourd'hui, le souffle puissant du poète continue de stimuler son lecteur.
Plusieurs de ses poèmes sont également parus, au Luxembourg, aux Éditions PHI :
L'eau court si vite
que le ciel ne la voit
mais elle lui donne ses yeux
Ô les miroirs en amont
les bords gorgés de son chant
et les feuilles
C'est la terre inventée
et la neige
Amour, c'est le vent
Mais les nœuds de soie
que les langues délient
et l'enfance des poissons…
***
Et les pays allaient à la mer
d'embruns voilés et de brumes
la langue du vent autour du corps
Ce fut la nuit en son désir
la lumière nouée de son fruit
ô noire clarté de l'eau
et ce souffle d'ailes comblé
Dentelle où perle la mort.
in Dans les cages du vent, Vois, ta laine couvrira les bergers, éditions PHI, 1997, p.p.143/144,
Le poème, qui suit, se présente comme un paisible adieu au monde, comme toutes les choses essentielles, il convient de l'inscrire au fond du cœur :
Quand la saison sera de joues rugueuses
je m'en irai
seul dans les regards
et les pages de tempête
Je serai mémoire
dans les lits déserts
tour d'alarme
sur les chemins de halage
Que tombent les silences
tels des corps de nuit
La mort n'a pas de tête
sa lumière n'est pas dans les yeux.
ibid p.95
Il revient toujours au poète de nous confronter à l'inévitable.
Le poème d'ouverture évoquait la mer, le dernier en fait de même, bien qu'il n'y ait pas de mer au Luxembourg à part celle qu'un poète s'invente pour survivre. Il est tiré du recueil Le profil et les ombres et parle d'un automne à venir, qui pourrait être le nôtre, au propre comme au figuré :
La mer a travaillé tout un été
sur sa peau un troupeau de cornes
où coulaient les reflets…
Robe empreinte de lumières
elle repose à présent
amidonnée avant l'équinoxe
La terre ne cesse de boire
les lauriers de tendre leurs derniers bouquets
et lentement je touche ton sol
– la bouche fermée sur un éclair
Les ancêtres sont trop nombreux qui te réclament
mains jointes sous le soleil
Un mime t'a souri un soir
de toutes ses rides noires
Tu arpentais la ville la nuit
et maintenant tu renonces à tes pas
pour glisser dans l'ailleurs gris
où règnent les orages
Les images apparues puis disparues
tu les relègues
et les ranges dans le grand coffre
de l'automne
Ô la mer charriant ses triomphes épars !
in Le profil et les ombres, Librairie bleue – Poésie, 1995, p.16
Bibliographie :
- Dans les cages du vent, éditions Phi, 1997
- L'aiguille aveugle, éditions Phi, 2008
- Le profil et les ombres, Librairie bleue, 1995
- José Ensch, Les façades, éditions Estuaires, 2009
sur internet:
- un article de Roselyne Fritel sur La pierre et le sel: http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/02/jos%C3%A9-ensch-une-force-en-p%C3%A9ril.html
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