Port des Barques

Port des Barques

vendredi 14 septembre 2018

José Ensch, la poésie ce chant de l'inouï



         Les yeux oblongs du matin
         Épousent la peau de la mer

         Ô solitudes conjuguées
         Avant l'appel des cloches
         Mais pour quel départ…

         Voici le roi et la reine
         De mouettes parés
         Et le vent qui monte
         Leur fait référence

         in Les façades, éditions Estuaires, 2009, p.12

Luxembourgeoise, née en 1942, professeur de Français, José Ensch s'est éteinte le 4 février 2008. Ce dernier recueil réunit des poèmes inédits, écrits entre septembre 2007 et janvier 2008. L'éditeur précise qu'elle en avait, elle-même, choisi le titre Les Façades.


Je découvre son œuvre peu d'années auparavant, grâce à un article de Poezibao, qui précise qu'elle fut une ardente lectrice de Saint- John Perse. J'acquiers par la suite plusieurs de ses recueils.

         C'était la nuit à la gorge nue, à la gorge de cire loin du feu
         Et elle marchait dans le noir, lentement, dans le souffle qu'il
              prend à chaque pas
         C'était la nuit à la nuque de tige et de fleur, à la nuque de ciel
              si haut que nulle main ne la touche
         Ô l'absence du temps ! Vertiges sur les cailloux des pentes et
              ces désirs de fruits, mots ronds comme la lune,
         la lune qui ment sur ses portées de silence, fragile faïence sur
              l'aube déroulée…

         in Le profil et les ombres, poèmes, Librairie bleue, 1995, p.61

D'une voix âpre et sensuelle, l'auteur affronte les éléments comme s'il s'agissait de ses propres dilemmes.

         Quelqu'un parle à l'air
         et au vent
         quelqu'un dedans
         et qui ne sait pas

         Ô défunte dans les glaces
         et les jungles
         quelqu'un se fend
         au cri des mouettes

         Il est l'ombre
         et la cime
         il est l'air
         et l'océan

         Et quand le ciel avale
         son plaisir
         c'est un œil qui se rompt
         comme un pain dernier.

         ibid p.27
        
Gisèle Prassinos écrivait au dos du précédent recueil : José Ensch, à quinze ans, était déjà poète. mais pour elle seule, elle ne montrait pas ses vers. Ce fut seulement après trois années d'amitié qu'elle osa m'en proposer à lire, tant elle doutait de son talent . Aujourd'hui, le souffle puissant du poète continue de stimuler son lecteur.

 Plusieurs de ses poèmes sont également parus, au Luxembourg, aux Éditions PHI  :

         L'eau court si vite
         que le ciel ne la voit
         mais elle lui donne ses yeux

         Ô les miroirs en amont
         les bords gorgés de son chant
         et les feuilles

         C'est la terre inventée
         et la neige
         Amour, c'est le vent

         Mais les nœuds de soie
         que les langues délient
         et l'enfance des poissons…

                      ***

         Et les pays allaient à la mer
         d'embruns voilés et de brumes
         la langue du vent autour du corps

         Ce fut la nuit en son désir
         la lumière nouée de son fruit
         ô noire clarté de l'eau
         et ce souffle d'ailes comblé

         Dentelle où perle la mort.

         in Dans les cages du vent, Vois, ta laine couvrira les bergers, éditions PHI, 1997, p.p.143/144,


Le poème, qui suit, se présente comme un paisible adieu au monde, comme toutes les choses essentielles, il convient de l'inscrire au fond du cœur :

         Quand la saison sera de joues rugueuses
         je m'en irai
         seul dans les regards
         et les pages de tempête

         Je serai mémoire
         dans les lits déserts
         tour d'alarme
         sur les chemins de halage

         Que tombent les silences
         tels des corps de nuit
         La mort n'a pas de tête
         sa lumière n'est pas dans les yeux.

         ibid p.95

 Il revient toujours au poète de nous confronter à l'inévitable.

Le poème d'ouverture évoquait la mer, le dernier en fait de même, bien qu'il n'y ait pas de mer au Luxembourg à part celle qu'un poète s'invente pour survivre. Il est tiré du recueil Le profil et les ombres et parle d'un automne à venir, qui pourrait être le nôtre, au propre comme au figuré :

          La mer a travaillé tout un été
          sur sa peau un troupeau de cornes
          où coulaient les reflets…
    
          Robe empreinte de lumières
          elle repose à présent
          amidonnée avant l'équinoxe

          La terre ne cesse de boire
          les lauriers de tendre leurs derniers bouquets
          et lentement je touche ton sol
          – la bouche fermée sur un éclair

          Les ancêtres sont trop nombreux qui te réclament
          mains jointes sous le soleil
          Un mime t'a souri un soir
          de toutes ses rides noires

          Tu arpentais la ville la nuit
          et maintenant tu renonces à tes pas
          pour glisser dans l'ailleurs gris
          où règnent les orages

          Les images apparues puis disparues
          tu les relègues
          et les ranges dans le grand coffre
          de l'automne

          Ô la mer charriant ses triomphes épars !

          in Le profil et les ombres, Librairie bleue – Poésie, 1995, p.16

Bibliographie :

  • Dans les cages du vent, éditions Phi, 1997
  • L'aiguille aveugle, éditions Phi, 2008
  • Le profil et les ombres, Librairie bleue, 1995
  • José Ensch, Les façades, éditions Estuaires, 2009
        

sur internet:

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