Port des Barques

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vendredi 29 avril 2016

Pablo Neruda Poèmes retrouvés

 21 inédits de Pablo Neruda, retrouvés parmi ses notes archivées et traduits par Jacques Ancet, viennent de paraître chez Seghers en version bilingue, sous le titre Tes pieds je les touche dans l'ombre, dans la collection Poésie d'abord.
Pablo Neruda, 1904-1973, de son vrai nom Ricardo Eliécer Neftali Reyes Basoalto, est un poète chilien, qui s'est fait le chantre de l'amour et du quotidien en son pays, dédiant sa poésie à des gens simples et souvent démunis, tout au long d'une vie engagée à défendre le droit de tous à la dignité, à la liberté et à la vie.
Militant de gauche, ami de Salvador Allende, diplomate, Prix Nobel de littérature en 1971, il meurt brutalement au lendemain de l'arrivée au pouvoir du Général Pinochet, en septembre1973, dans sa maison de Santiago. Une mort restée suspecte.
Le 26 avril dernier, son pays lui rendait un dernier hommage. Ses restes, exhumés en 2013 pour tenter de déterminer les causes précises de la mort, ont été remis en terre, sans résultat probant.



 
Le poète à la casquette
Santiago du Chili, fresque murale dans une rue proche de sa maison, 2012 



Dans ce long poème, le poète revoit le jeune poète qu'il fut, s'évalue et se renouvelle les conseils essentiels.


         Même en ces hautes
         années
         en pleine
         cordillère de ma vie
         après avoir
         gravi
         la neige verticale
         et être entré
         sur le plateau diaphane
         de la lumière décisive
         je te vois
         près de la mer coquillière
         recueillant des vestiges
         du sable
         perdant ton temps avec
         les oiseaux
         qui traversent
         la solitude marine
         je te regarde
         et je n'y crois pas
         c'est moi-même
         si crétin, si lointain
         si désert
         Jeune homme
         tout juste
         arrivé
         de province,
         poète
         au sourcils effilés
         aux souliers
         fatigués
         tu es
         moi
         moi de nouveau
         vivant,
         arrivé de la pluie,
         ton silence et tes bras
         sont les miens
         tes vers ont
         le grain
         répété
         de l'avoine,
         la féconde fraîcheur
         de l'eau où naviguent
         feuilles et oiseaux de la forêt,
         tout jeune encore, et maintenant
         écoute
         conserve
         étire ton silence
         jusqu'à ce qu'en toi
         mûrissent
         les paroles,
         regarde et touche
         les choses,
         les mains
         savent, elles ont
         une sagesse aveugle
         mon garçon,
         il faut être dans la vie
         bon conducteur de train,
         honnête conducteur,
         ne va pas te mettre
         à te vanter de ta plume,
         d'être un argonaute,
         un cygne,
         un trapéziste entre les hautes phrases
         et la rondeur du vide,
         ton devoir
         est de charbon et de feu,
         tu dois
         te salir les mains
         d'huile brûlée,
         de fumée
         de chaudière,
         te laver,
         te mettre un costume neuf
         et alors
         apte au ciel tu peux
         te préoccuper de l'iris
         user du laurier et de la colombe,
         arriver à être rayonnant,
         sans oublier ta condition
         d'oublié,
         de noir,
         sans oublier les tiens
         ni la terre
         endurcis-toi
         marche
         sur les pierres aiguës
         et reviens.

        in Tes pieds je les touche dans l'ombre Seghers 2016, p.p.44 à 51

La note 7, qui accompagne ce texte, précise qu'on ne trouve rien de similaire ailleurs dans l'œuvre de Neruda.
Ce poème a été découvert dans une caisse, qui rassemblait en majeure partie des manuscrits, des odes au printemps, à Walt Whitman, à Louis Aragon, qui furent incluses dans Odes élémentaires et Nouvelles odes élémentaires, Navigations et retours.

Être poète selon Neruda exige "d'aller au charbon", d'accepter de se salir les mains autant que de manier le feu des mots. Il s'agit d'un métier de manœuvre, au service des autres.
Dans son Discours de réception du prix Nobel, lu à Stockholm en 1971, il utilise l'image du poète-boulanger, image on ne peut plus messianique, que nous retrouvons dans cet extrait de son Ode au pain, et qui tiendra lieu de conclusion.

          (...)
          O pain de chaque bouche,
          nous
          ne t'implorerons pas,
          les hommes
          ne sont pas
          mendiants
          de vagues dieux
          ou d'anges obscurs :
          de la mer, de la terre
          nous ferons du pain,
          nous sèmeront de blé
          la Terre et les planètes,
          le pain de chaque bouche,
          de chaque homme,
          chaque jour
          sera là parce que nous serons allés
          le semer
          et le faire,
          non pour un homme mais
          pour tous,
          le pain, le pain
          pour tous les peuples,
          et avec lui nous répartirons
          ce qui a forme
          et goût de pain :
          la terre,
          la beauté,
          l'amour,
          tout cela
          a goût de pain,
          forme de pain,
          est germinal comme la farine,
          tout
          est né pour être partagé,
          pour être donné,
          pour se multiplier.

          (...) extrait in Odes élémentaires Gallimard 1974, p.199, 200, 201


 
Grille de fenêtre dans la maison de Santiago, devenue la Fondation Pablo Neruda,
 le P de Pablo enlacé au M de Mathilde, 2012



 
Porte de l'atelier d'écriture à Santiago, 2012
et le jardin
 

 
 
 
Sur internet:


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