Port des Barques

Port des Barques

vendredi 18 décembre 2015

Marie Noël, à l'approche de noël

                                                                    L'œuvre du sixième jour

                                                                                Racontée par Stop-chien à ses petits frères


   Dès que le chien fut créé, il lécha la main du Bon Dieu et le Bon Dieu le flatta sur la tête.
          – Que veux-tu, Chien?
          – Seigneur Bon Dieu, je voudrais loger chez Toi au ciel, sur le paillasson devant la porte.
          – Bien sûr que non! dit le Bon Dieu. Je n'ai pas besoin de chien puisque je n'ai pas encore créé les voleurs.
          – Quand les créeras-Tu, Seigneur?
          – Jamais. Je suis fatigué. Voilà cinq jours que je travaille, il est temps que je me repose. Te voilà fait, toi, Chien, ma meilleure créature, mon chef-d'oeuvre. Mieux vaut m'en tenir là. Il n'est pas bon qu'un artiste se surmène au-delà de son inspiration. Si je continuais à créer, je serais bien capable de rater mon affaire. Va, Chien! Va vite t'installer sur la terre. Va et sois heureux.
Le Chien poussa un profond soupir.
          – Que ferais-je sur la terre, Seigneur?
          – Tu mangeras, tu boiras, tu croîtras et multiplieras.
Le Chien soupira plus tristement encore.
          – Que te faut-il de plus?
          – Toi, Seigneur mon Maître! Ne pourrais-Tu pas Toi aussi, t'installer sur la terre?
          – Non! dit le Bon Dieu. Non, Chien! je t'assure. Je ne peux pas du tout m'installer sur la Terre pour te tenir compagnie. J'ai bien d'autres chats à fouetter. Ce ciel, ces anges, ces étoiles, je t'assure, c'est tout un tracas.
Alors le Chien baissa la tête et commença à s'en aller. Mais il revint.
          – Ah! si seulement, Seigneur Bon Dieu, si seulement il y avait là-bas une espèce de maître dans ton genre.
          – Non, dit le Bon Dieu, il n'y en a pas.
Le Chien se fit tout petit, tout bas, et supplia plus près encore.
          – Si Tu voulais, Seigneur Bon Dieu...Tu pourrais toujours essayer...
          – Impossible, dit le Bon Dieu. J'ai fait ce que j'ai fait. Mon œuvre est achevée. Jamais je ne créerai un être meilleur que toi. Si j'en créais un autre aujourd'hui, je le sens dans ma main droite, celui-là serait raté.
           – Ô Seigneur Bon Dieu, dit le Chien, ça ne fait rien qu'il soit raté pourvu que je puisse le suivre partout où il va et me coucher devant lui quand il s'arrête.
Alors le Bon Dieu fut émerveillé d'avoir créé une créature si bonne et il dit au chien:
           – Va! qu'il soit fait selon ton cœur.
Et, rentrant dans son atelier, Il créa l'homme.

N.B. – L'Homme est raté, naturellement. Le Bon Dieu l'avait bien dit.
Mais le chien est joliment content!

in Contes, éditions Stock 1994, p.p.81/82

Marie Noël – de son vrai nom Marie Rouget – est née à Auxerre, en février 1883 et a grandi au pied de la cathédrale dans une famille cultivée, entre un père incroyant et une mère très pieuse. Elle restera "vieille fille", selon le terme de l'époque – et à son grand regret. Sans jamais quitter sa ville de province, elle écrira, sera lue et admirée par des écrivains de sa génération aussi différents que Mauriac, Colette ou Montherlant. Elle s'éteindra à l'âge de 84 ans, en 1967.


         D'aucuns s'étonnent de mon chant sombre à cause de mes jeux gais et de mes candides
         allégresses.
         N'ont-ils jamais contemplé le miracle de la rose de Noël?
         La rose de Noël triste et sans fleur toute l'année. 
         La rose de Noël qui s'appelle Ellébore –Mélancolie – et serre dans sa racine un poison noir. 
         Mais quand vient la Noël, par une grâce de Dieu, elle sort du  gris de l'hiver
         et des  feuilles sombres, comme autant de petites bougies allumées.
         Et de sa blancheur merveilleuse, elle éclaire le berceau de l'Enfant Jésus.
         Je suis ainsi, noire, et, parfois, lumineuse par grâce. Et j'ai un nom qui le dit bien:
                                                    Marie Noël
         Marie (mara), l'amertume mortelle de ma racine.
         Noël, mon miracle, ma fleur de joie.
        
         Notes intimes, Stock 2008, p.195
 
On l'a longtemps présentée comme le chantre de la piété et de l'abnégation, alors que le feu du désir n'a jamais cessé de crépiter sous la braise des apparences et qu'elle n'a jamais mâché ses mots dans ces entretiens à voix haute avec le Seigneur que sont ses poèmes.

         Ma fille d'où reviens-tu ?

         "Ma fille, d'où reviens-tu?
         – D'un lieu pauvre où j'ai vécu.

         – As-tu mangé ton content
         Ma fille, et passé bon temps?

         – Père, alors il se trouvait
         Que le temps était mauvais.

         – Qu'as-tu dit, or, qu'as-tu fait?
         – Rien, Père. Je vous aimais.

         – As-tu, chez les gens d'en bas
         Trouvé place? – Presque pas.

         – Ma fille aimas-tu d'amour?
         – Oui, Père, un seul, pour toujours.

         – En échange, t'aima-t-on,
         Ma fille? – Oh! non, Père, non!

         – Sans doute alors pleuras-tu?
         – J'ai souri tant que j'ai pu.

         – Entre. Chez moi sont taris
         Tous pleurs et tous maux guéris.

         Hors d'ici le mauvais temps!
         Ici, le bonheur t'attend.

         Entre en fête et chante en chœur
         Avec tes frères et sœurs.

        Tu n'auras plus le cœur gros.
        Chante!  – Je suis lasse trop.

        Faites faire un lit. Dedans
        Je dormirai très longtemps.

        Pendant sept ans et pendant
        Sept ans encore et sept ans,

        Sans souci dans mon sommeil
        De la lune et du soleil.

        – Mais si, pendant que tu dors
        Ton ami vient du dehors?

         S'il voit ton cœur? S'il le voit
         Beau pour la première fois?

         Si le prend l'amour de toi?
         – Père, alors éveillez- moi.

        – Mais plutôt s'il cherche ailleurs
        Qu'en toi son ciel le meilleur?

        –Donnez-le-lui, Père, mais
        Ne me réveillez jamais."

        in L'œuvre poétique, Chants des Temps irréels, Stock 1975, p.p.543/544/545
    
Elle intitule Psaumes ou Chants la plupart de ses textes, et elle en est prolixe, mais son exigence envers la poésie reste constante, en témoigne ce texte, intitulé Le Travail, paru dans ses Notes intimes, chez Stock, édition 2008 p.p. 302/303 :

                   Le Travail

    Un chant m'est né. Un cœur qui bat...un mouvement de mots, de syllabes qui, lointainement ébranlés, se groupent soudain comme une procession ou une danse sans me demander ordre ni conseil.
     C'est ici que j'entre en besogne. Ici, que commence le jeu difficile: saisir le rythme, le fixer – sans l'arrêter – dans sa vie la plus libre, la plus pure, en le dépouillant de tout ce qui pourrait couper ou embarrasser sa ligne de vol.
     J'applique alors la règle d'or que mon père m'a donnée: "Ce que tu as dit en dix mots, tâche de le dire en sept. En trois, si tu peux."
     Je me rappelle le précepte que mon parrain, Périé, me rapporta d'Hésiode :
     "La partie est parfois plus grande que le tout."
     Et je m'obéis à moi-même:
     "Laisse aux paroles leur silence."
     Alors je biffe, rature, efface sans miséricorde. Tous les exercices de l'ascèse : sacrifice, retranchement, abstinence, mortification, clarification, purification, simplification me donnent le chemin et la discipline.
  
       Quand, ligne par ligne, phrase par phrase, mot par mot, le poème enfin semble arrêté entre son  commencement et sa fin, je le jette aux oubliettes pour y mûrir en patience.
       Trois mois passent... six mois...un an... davantage. Puis, un jour, il me rappelle, je lève le sceau. Il m'apparaît avec ses notes fausses, ses taches criardes.
       De nouveau, la voie purgative. Je corrige, je supprime une strophe – même jolie –  une image – même plaisante – Je change le son d'une syllabe, je déplace un accent.
       Je tends de plus en plus à dévêtir le mouvement, à laisser l'émotion nue, à réduire, de proche en proche, l'expression multiple à l'unité.
       Puis, je remets le poème au cloître. De nouveau, je le perds de vue.
       Une fois, trois fois, sept fois, à longs intervalles, je le reprends, je le retouche tant que son superflu gêne son nécessaire.
       Jusqu'au jour où je le revois dans sa nudité natale. C'en est fait. Elle est là, l'œuvre.
       Alors, je retrouve la joie de la première rencontre.
       Il ne m'est arrivé que bien rarement de reconduire une œuvre jusqu'à sa pureté primitive.
       Peu de réussites, beaucoup d'échecs.

Ainsi nous émeut encore la nostalgique ritournelle et sa légèreté invite à chanter à l'approche de noël.

          Chanson sur le tard

           Au Printemps j'avais trois amis
           Un dans le bois, un dans le champ...
          – Au printemps j'avais trois amis –
           Et l'autre au milieu du pays.

           Les ai cherchés venant l'Hiver
           Loin dans les bois, loin dans le champ,
           Les ai cherchés venant l'Hiver
           Où fuit le jour, où l'an se perd.

           Les ai cherchés venant le soir
           Tard dans le bois, tard dans le champ,
           Les ai cherchés venant le soir,
           De lieux éteints en lieux plus noirs :

           Le premier est fol devenu
           – Où dans le bois? Où dans le champ? –
          Le premier est fol devenu
          Il s'est égaré les pieds nus.

          Le deuxième est mort devenu
          – Où dans le bois? Où dans le champ? –
          Le deuxième est mort devenu
          Sous terre ni vu ni connu.

         Le troisième est vieux devenu
         Plus que le bois, plus que le champ,
         Le troisième est vieux devenu
         Et s'en va branlant et chenu.

         À sa porte je l'ai cherché
         – Au loin le bois! au loin le champ! –
         À sa porte je l'ai cherché
         Sur la place autour du marché.

         Mais il a, par le temps qu'il fait,
         Gris dans le bois, gris dans le champ.
         Mais il a, par le temps qu'il fait,
         Oublié tout ce qu'il savait.

         Et ne saura plus jamais,
         Plus dans le bois, plus dans le champ
         Et ne re-saura plus jamais
         Que pour sa mie un cœur avait.

         in L'œuvre poétique, Chants légendaires, Stock 1975, p.p.581/582

        Bibliographie:
  • Contes, Stock, 1994
  • L'œuvre poétique, Stock, 1975
  • Mon Dieu, je ne vous aime pas, Foi et spiritualité chez Marie Noël, de Benoît Lobet, Stock, 1994
  • Notes intimes, Stock, 2008
      sur internet  :




 

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